«Le jour n’est pas éloigné où trois drapeaux étoilés signaleront en trois points équidistants l’étendue de notre territoire: l’un au Pôle Nord, l’autre sur le Canal de Panama, et le troisième au Pôle Sud. Tout l’hémisphère sera, de fait, le nôtre, comme il l’est déjà moralement en vertu de la supériorité de notre race.»
William H. Taft, président américain, 1912 (tiré de Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine
Fort heureusement, cette prédiction ne s’est pas encore réalisée. Du moins, pas officiellement. Mais dans les faits, il faut bien admettre que l’empire américain a su étendre ses ramifications jusqu’au plus profond du plus petit village d’Amérique latine. Bien sûr, il y a les logos de Pepsi, Coca-Cola et autres multinationales qui recouvrent les murs des maisons. Mais il y a plus. On parle du rêve américain… Galeano a justement quelque chose à dire là-dessus: «En cours de route, nous avons perdu jusqu’au droit de nous appeler Américains…»
C’est ce qui m’a passé par la tête aujourd’hui quand j’ai voulu aller voir la première de Di buen diá a papá, à La Paz. Coproduction Bolivie-Argentine-Cuba, ce film présente la vie de la ville de Vallegrande, à travers trois générations de femmes, de 1967 à 1997. Vallegrande, c’est la ville bolivienne où on a ramené et enterré le corps d’Ernesto Che Guevara aprés son exécution, en 1967. Et c’est en 1997 que ses restes ont été exhumés. «Papá», c’était le nom de code que les soldats utilisaient pour désigner le Che. Et lui dire bonjour voulait dire l’exécuter.
Production très prometteuse, donc. Mais en arrivant devant les portes du cinéma, j’ai été accueilli par la tronche gigantesque de Tom Cruise et sa guerre des mondes. La sortie de Di buen diá a papá est reportée au mois d’août… Où est-elle, la vraie guerre des mondes ?
En dehors des cinémas, il y a des tonnes de choses à faire à La Paz. Une semaine que j’y suis, et j’ai à peine effleuré le potentiel de cette cité incroyable qui s’étend de 3000 à 4000 m d’altitude. Une semaine où à chaque jour, j’ai été irrémédiablement attiré vers les rues du centre, encombrées d’étals et de vendeurs de toutes sortes, de chiens qui dorment, de chiens qui jappent, de cireurs de chaussures (bien sûr), de soldats en uniforme qui transportent leurs 12 sur l’épaule, de familles de mendiants et de véhicules qui se disputent le passage. Un chaos effrayant, un chaos fantastique, un chaos charmant. Et on pourrait croire que toute la ville n’est qu’un gigantesque marché à ciel ouvert. Des rues de viande, des rues de lunettes de soleil, des rues de patates, des rues de DVDs piratés (certains films que j’y ai vus ne sont pas encore sortis nulle part), des rues de tout et de rien, beaucoup plus souvent de tout que de rien.
Et aujourd’hui je suis allé faire un tour dans El Alto, la ville au-dessus de la ville, celle des plus pauvres et des Aymaras, d’où les mouvements de protestation du mois dernier sont presque tous partis. Encore là, des quartiers entiers de marchés, mais des gens beaucoup plus authentiques, des gens qui, la nuit, ne doivent pas faire de «rêves américains»…
Demain, très tôt, je monte jusqu’à La Cumbre (4700 m) en camion, puis je descends la «route la plus dangereuse du monde», jusqu’à Yolosa (1200 m), en vélo de montagne. Rien de plus qu’une petite descente de santé de 3500 mètres… Pensez à moi !