Texte publié le 11 juin 2012 comme article Facebook. Archivé ici le 31 décembre 2012.
Photo prise le 10 juin au Parc Jean-Drapeau, par Andréanne Martel. Éditée pour préserver l’anonymat.
Entre le 7 et le 10 juin, de nombreuses personnes ont été interpellées par les forces policières dans le cadre des événements entourant la tenue du Grand Prix de Montréal.
Je ne m’attarderai pas sur la présence intimidante des agents, sur le profilage presque systématique des gens portant un carré rouge, un carré noir, un sac à dos, une pièce de vêtement de couleur sombre ou ayant simplement «l’apparence» d’un étudiant. Ces cas sont nombreux et d’autres que moi font déjà ou feront, je l’espère, une couverture suffisante.
J’aimerais plutôt me pencher sur les arrestations, détentions et fouilles préventives effectuées, selon la police, en vertu de l’article 31 du Code criminel du Canada. Je ne suis pas juriste et je peux évidemment me tromper dans mon interprétation de la loi, mais ces quelques observations me semblent être valides et mériter l’attention à tout le moins des personnes arrêtées, dans le meilleur des cas des policiers en cause et, s’ils sont de bonne volonté, des journalistes couvrant les événements.
Témoignage d’un journaliste arrêté
Nicolas Quiazua, du journal Le Délit, a d’ailleurs lui-même fait l’objet d’une détention temporaire le dimanche 10 juin. Il en relate ainsi les circonstances:
«Je me dirige vers l’Île Sainte-Hélène pour couvrir, comme au cours des trois derniers jours, les événements entourant le Grand Prix de Formule Un de Montréal. […] C’est en interviewant quatre de ces personnes que le SPVM me demande ce que je fais sur l’île et si je « possède des billets pour la course ». Je réponds que nous couvrons les événements entourant le Grand Prix en tant que journalistes. […]
Le SPVM m’ordonne alors de quitter les lieux. Je leur dit que je préférerais rester pour faire mon travail. Deux des policiers me saisissent par les coudes et m’emmènent plus loin. Je leur demande à plusieurs reprises si je suis en état d’arrestation, question à laquelle ils ne répondront tout simplement jamais. La lecture de mes droits est autre chose que je n’entendrais pas durant la durée de la rétention, soit près d’une heure.
J’avais en ma possession ma caméra et un sac. Tout en mettant leurs mains dans mes poches, les deux agents m’ordonnent de leur donner mon outil de travail et mon sac pour procéder à une fouille. Je leur fait savoir verbalement mon refus à toute fouille. Un des deux policiers s’empare des deux objets, alors que l’autre me tord le bras derrière le dos. Lorsqu’on arrive au périmètre de sécurité érigé sur le site, les policiers me menottent. […]
C’est en même temps que tout le monde que j’apprends finalement mon sort. Les relations médias du SPVM annoncent publiquement que « les personnes arrêtées puis libérées sous l’article 31 ne font face à aucune charge et sont libérées sans condition ni contravention ». Simon Delorme, relationniste médias du SPVM, explique les arrestations et la fouille auxquels j’ai été soumis en nous disant que l’article 31 est un « article global du code criminel qui permet aux agents de procéder à une arrestation selon leur jugement [et qu’ils] sont sous l’obligation de procéder à une fouille suite à toute détention pour la sécurité des gens ».»
Ce serait donc l’article 31 qui d’une part autorise les arrestations selon le jugement du policier et d’autre part oblige à des fouilles suite à la détention ? Comme je préfère toujours varier mes sources, la version d’un relationniste de presse ne me suffit pas, surtout quand ses relations de presse impliquent l’arrestation de la presse.
L’article 31 du Code criminel
Une brève lecture du Code criminel me permet d’en apprendre un peu plus sur l’article 31:
«Arrestation pour violation de la paix
31. (1) Un agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix, comme toute personne qui lui prête légalement main-forte, est fondé à arrêter un individu qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler.
Garde de la personne
(2) Tout agent de la paix est fondé à recevoir en sa garde un individu qui lui est livré comme ayant participé à une violation de la paix par quelqu’un qui en a été témoin ou que l’agent croit, pour des motifs raisonnables, avoir été témoin de cette violation.»
L’article 31 permet donc une arrestation préventive. Il n’y est toutefois fait aucunement mention de l’obligation ou de la justification d’une fouille.
Pour les cas ou l’individu arrêté n’est pas en train de commettre une violation de la paix, nous pourrions formuler plus brièvement l’article 31(1) sans en modifier le sens, pour des soucis de clarté:
«Un agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix […] est fondé à arrêter un individu […] qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler.»
C’est une reformulation importante, car elle permet de mettre en lumière un élément majeur qui n’est pas évident à la première lecture: l’article 31(1) s’applique si l’agent est témoin d’une violation de la paix, pas si l’agent a l’Impression qu’une violation de la paix risque d’avoir lieu. Il doit de plus en avoir été témoin lui-même et non avoir reçu un témoignage ou une information concernant un geste commis.
Le relationniste, M. Delorme, avait partiellement raison. L’article 31 permet à un policier de procéder à une arrestation selon son jugement. En effet, il n’est pas obligé d’arrêter un individu sur le point de prendre part à une violation de la paix. Il est y fondé, c’est-à-dire en droit de le faire, s’il le juge nécessaire. Son pouvoir discrétionnaire a toutefois des limites: si aucune violation de la paix n’est en cours, l’article 31 peut difficilement s’appliquer et une arrestation en vertu de celui-ci est probablement illégale.
La jurisprudence concernant l’article 31 est assez claire et on la retrouve directement dans le Code criminel annoté 2012 (Cournoyer et Ouimet), à la page 107 :
«Il ne suffit pas d’avoir l’impression que quelque chose pourrait se produire. Encore faut-il être témoin d’une violation de la paix ou avoir des motifs raisonnables de croire qu’il y a ou aura violation de la paix.» (R. c. Bélanger, 1987)
«Les articles 30 et 31 n’autorisent aucune arrestation pour une violation appréhendée de la paix. Toutefois, les pouvoirs ancillaires de common law autorisent l’arrestation ou la détention lorsque la violation appréhendée de la paix est imminente et le risque qu’elle se matérialise substantiel. Le policier doit avoir des motifs raisonnables de croire que la violation appréhendée de la paix ou la perpétration d’un acte criminel aura vraisemblablement lieu si la personne n’est pas détenue.» (Brown c. Durham Regional Police Force, 1998)
À moins qu’un juriste ne me contredise sur ce point, j’aimerais souligner que même si M. Quiazua a été relâché, il est toujours juste de dire qu’il a été «arrêté». Suite à son arrestation et à sa détention, il n’a certes pas été accusé, mais l’arrestation a eu lieu et la responsabilité de confirmer son illégalité pourrait être mise entre les mains des tribunaux.
L’article 495 du Code criminel
Un autre article du Code criminel permet l’arrestation préventive sans mandat. Il s’agit de l’article 495, qui stipule:
«495. (1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat :
a) une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel; […]
Restriction
(2) Un agent de la paix ne peut arrêter une personne sans mandat […] dans aucun cas où :
d) d’une part, il a des motifs raisonnables de croire que l’intérêt public […] peut être sauvegardé sans arrêter la personne sans mandat;
e) d’autre part, il n’a aucun motif raisonnable de croire que, s’il n’arrête pas la personne sans mandat, celle-ci omettra d’être présente au tribunal pour être traitée selon la loi.»
Un cas intéressant nous permettra plus tard d’explorer davantage cet article.
Fouilles préventives ou fouilles abusives ?
Pour l’instant, revenons aux fouilles. L’article 31 n’autorise pas les fouilles sans mandat. Si certains autres articles ou lois permettent de telles fouilles dans des cas bien précis, la règle générale est qu’une fouille, pour être légale, doit être autorisée par mandat d’un juge. Elle peut toutefois être effectuée sans autorisation préalable en vertu de la common law, le droit traditionnel.
L’organisme à but non lucratif Éducaloi le précise ainsi:
«Les policiers ont-ils le droit de fouiller une personne mise en état d’arrestation?
Oui. Lors d’une arrestation, les policiers peuvent fouiller sans mandat la personne arrêtée et les lieux immédiats, incluant la voiture de la personne, pour assurer leur propre sécurité et pour préserver des preuves qui autrement pourraient être détruites ou perdues. En pratique, les policiers fouillent systématiquement toute personne mise en état d’arrestation. Cette fouille doit demeurer sommaire (poches, sacs etc.). Pour une fouille plus intrusive (intérieur du corps, prises de sang), un mandat est nécessaire.»
On note toutefois la précision suivante:
«Une fouille sera abusive si on rencontre un des critères suivants :
• elle n’est pas autorisée par la loi;
[…] Lorsqu’une fouille ou une perquisition est faite sans mandat, elle est à première vue abusive. Le procureur de la Couronne devra alors prouver que celle-ci n’était pas abusive s’il veut pouvoir se servir des éléments de preuve récoltés lors de la perquisition.»
• la loi qui l’autorise est abusive;
• la perquisition a été faite de façon abusive.
Une fouille est donc abusive jusqu’à preuve du contraire si elle faite sans mandat. S’il n’y a pas d’arrestation ou si l’arrestation elle-même s’avère illégale, la fouille est automatiquement abusive.
Des droits protégés par la charte
En quoi le caractère abusif d’une fouille est-il important, outre pour la reconnaissance de l’injustice que toute personne fouillée ressent déjà ? Ce caractère est important car les fouilles abusives sont anticonstitutionnelles en vertu de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et peuvent influencer les conditions de la poursuite et justifier des plaintes contre les policiers:
«Fouilles, perquisitions ou saisies
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.»
Les articles suivants de la charte contiennent d’autres notions importantes pour les dossiers d’arrestations et détentions arbitraires de plus en plus fréquentes ce printemps:
«Détention ou emprisonnement
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.
Arrestation ou détention
10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
a) d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;
b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;
c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.»
Ce qui constitue une détention
D’ailleurs, le jugement Feeney (1997) de la Cour suprême du Canada fait office de jurisprudence en ce qui a trait à la définition d’une détention:
«Il y a détention au sens de l’art. 10 de la Charte lorsqu’un agent de la paix restreint la liberté d’action d’une personne au moyen d’une sommation ou d’un ordre.» (p.7)
L’avocate Véronique Robert soulignait le 13 avril, dans un article très révélateur sur l’arrestation et la détention de journalistes de La Presse, que:
«les policiers n’ont pas le droit, au motif qu’ils mènent une enquête, de détenir une personne qui n’a pas d’abord été mise formellement en état d’arrestation, sauf s’ils ont un motif précis de le faire.»
Me Robert précise elle aussi qu’un vaste éventail de situations peuvent être considérées comme des détentions, se référant entre autres à la jurisprudence de l’arrêt Schmautz (1990) de la Cour suprême. Ainsi, si la restriction de la liberté d’action constitue une détention, la contrainte psychologique ou morale résultant d’un ordre peut aussi être perçue comme une détention, qu’il y ait application de force physique ou non:
«L’élément de contrainte ou de coercition nécessaire pour qu’il y ait détention peut découler de la responsabilité criminelle qu’entraîne le refus d’obtempérer à une sommation ou à un ordre, ou de la conviction raisonnable qu’on n’a pas le choix d’obtempérer ou non. En l’espèce, la responsabilité criminelle qu’entraîne le refus d’obtempérer constitue l’élément nécessaire de contrainte ou de coercition requis pour conclure à l’existence d’une détention. La détention ne dépend pas de l’acceptation de se conformer à l’ordre. […] La contrainte physique ne comporte aucun rapport avec le genre de détention qui résulte d’une responsabilité criminelle découlant du refus de se conformer à un ordre. Ce que ce genre de détention comporte, c’est la contrainte psychologique ou morale résultant de l’ordre.» (p.30)
Les garanties juridiques couvertes par les articles 7 à 10 de la Charte peuvent donc permettre d’invalider des mises en accusations. Elles ne semblent toutefois pas émouvoir outre-mesure les officiers aux commandes ni ralentir les ardeurs des policiers exécutant les ordres. Peut-être préfèrent-ils se baser sur les avis émis par la Gendarmerie Royale du Canada que sur une charte des droits et libertés ?
Je vous l’ai dit, j’aime bien varier mes sources. Et comme je ne suis pas vraiment croyant et que la Charte débute par l’accroche suivante, ça me prend un petit effort pour me sentir concerné:
«Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit».
Nos droits peuvent-ils être restreints ?
Laissons donc de côté la suprématie divine et concentrons-nous sur les affaires humaines. Le gouvernement fédéral offre généreusement aux citoyens canadiens les services d’une Police de protection, un secteur établi comme «une fonction indépendante et distincte au sein de la GRC» depuis les années 1970.
Dans son document intitulé «Information sur l’ordre publique – manifestants [sic], cette police prend soin de nous informer que les droits qui nous sont reconnus par la Charte peuvent être restreints, citant la Cour suprême sans mentionner l’arrêt en cause:
«[…] la liberté d’expression ne joue pas dans les cas de menaces ou d’actes de violence. Aucune protection n’est accordée lorsqu’il y a destruction de biens, voies de fait ou autres types de conduite manifestement illégale »
Le rédacteur de la GRC omet toutefois au passage de préciser clairement que ces restrictions concernent uniquement l’article 2 de la Charte, celui garantissant la liberté d’expression. Puisque ce n’est pas mentionné sur leur site, je vous indique que vous pourrez trouver le détail de l’ensemble des décisions de la Cour suprême limitant ou protégeant la liberté d’expression dans ce recueil. Qui sait, ça pourrait être utile si jamais votre liberté d’expression était restreint, ce qui semble se produire de plus en plus souvent.
L’article de la GRC apporte tout de même des précisions un peu plus détaillées, rappelant d’abord l’article 1 de la Charte:
«La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.»
Très bien. Laissons aux philosophes la réflexion sur les limites raisonnables, la liberté et la démocratie pour nous concentrer sur ces fameuses règles de droits ou d’exception:
«Le Code criminel contient diverses dispositions qui limitent les droits d’une personne. Voici la liste de certains articles pertinents du Code criminel qui restreignent certaines activités :
• bloque ou obstrue une grande route (alinéa 423(1)g))
• troubler la paix (article 175)
• nuisance publique (article 180)
• fait de nuire aux moyens de transport (article 248)
• méfait (article 430)
• substance volatile malfaisante (article 178)
• émeutes (articles 32, 33, 64, 65, 67, 68, 69)
• attroupement illégal (article 63)
• arrestation pour violation de la paix (article 31)»
Et oui, le gouvernement peut, en se basant sur une règle de droit, limiter les droits de ses citoyens. Le rédacteur de la GRC omet encore une fois de préciser un détail important: cette limitation n’est pas automatique. L’article 1 de la Charte, aussi appelé «clause restrictive», permet dans certains cas et sous certaines conditions, de restreindre certains droits. Même pour les règles de droit mentionnées plus haut, c’est sur les procureurs de la Couronne que repose la charge de prouver qu’un droit peut légalement être restreint. Bref, les philosophes peuvent y réfléchir, les policiers peuvent le souhaiter, mais sans une démonstration probante de la Couronne et la validation par un juge, nos droits sont toujours protégés par la Charte. Même un article Wikipédia est plus précis à ce propos que les allégations fédérales citées.
On croirait presque que la GRC essaie d’intimider les manifestants… Heureusement, on nous rappelle souvent par les temps qui courent qu’il ne faut jamais céder à l’intimidation. Et, au final, le texte de la GRC arrive à être plus rassurant que les interpellations floues et arbitraires du SPVM lors du Grand Prix. En effet, on y rapporte un détail notable concernant l’article 31.
«Arrestation pour violation de la paix : Une arrestation pour violation de la paix, en vertu du Code criminel ou de la common law, ne donne pas lieu à une accusation. Une arrestation pour violation de la paix vise à mettre fin à la situation et à rétablir l’ordre.»
Ah bon. Ainsi, même si une arrestation était légale en vertu de l’article 31, elle ne pourrait pas donner lieu à une accusation ? C’est bon à savoir. Merci, GRC. Ça ne rend pas les arrestations moins effrayantes, mais ça en limite la portée.
Des recours sont possibles
Les droits civils ont été largement bafoués à Montréal en ce printemps 2012. De quels recours disposons-nous lorsque nous sommes victimes d’un abus de pouvoir par les policiers ? Au Québec, il est toujours possible et souhaitable de porter plainte en déontologie, comme le rappelle Éducaloi:
«Toute personne qui estime avoir été traitée par un policier d’une manière qui ne respecte pas le Code de déontologie des policiers peut porter plainte auprès du Bureau du Commissaire à la déontologie policière ou dans tout poste de police.
La plainte doit être formulée par écrit et déposée au plus tard un an après la date de l’événement ou de la connaissance de l’événement donnant lieu à la plainte. […]
À la demande du plaignant, les membres du personnel du Bureau du Commissaire doivent l’aider à formuler sa plainte et à identifier les éléments de preuve pour appuyer celle-ci.
Ensuite, le Bureau du Commissaire à la déontologie policière recevra la plainte, l’examinera et tentera de réconcilier les parties. Si nécessaire, il fera enquête et obligera le policier à se présenter devant le Comité de déontologie policière à la date et l’heure fixées par celui-ci.
Les services fournis par le Bureau du Commissaire à la déontologie policière sont gratuits.»
Au palier fédéral, il existe une Commission des plaintes du public contre la GRC. Cet organisme indépendant a par ailleurs produit un rapport très éclairant suite aux «plaintes concernant les incidents survenus au cours des manifestations ayant eu lieu dans le cadre de la conférence de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en novembre 1997 à Vancouver».
Ce qu’un rapport indépendant peut révéler
De nombreux cas sont couverts par le rapport, mais celui d’un M. Groebner est très intéressant en ce qui nous concerne. Il avait été arrêté brusquement par plusieurs policiers après avoir repoussé de la main la caméra d’un journaliste, dans le contexte d’une manifestation et sans avoir commis d’actes répréhensibles auparavant.
«Le gendarme […] a déclaré qu’il avait reçu des instructions d’un inspecteur ou d’un surintendant, il ne savait plus qui, lui demandant d’arrêter quiconque commettait une infraction lorsque la possibilité se présentait […]
On a dit au départ à M. Groebner qu’il était en état d’arrestation pour voies de fait, mais au détachement de l’UBC, on lui a remis un bref indiquant qu’il était en détention pour violation de la paix, sans pour autant lui indiquer officiellement que l’accusation de voies de fait avait été abandonnée. On l’a alors amené au détachement du VPD, au centre-ville de Vancouver, oû il a été relâché entre 23 h et 23 h 30. En fin de compte, aucune accusation ne fut jamais portée contre lui.»
Ça sonne une cloche, n’est-ce pas ? Je sais que mon article s’allonge, mais pas au point d’oublier le récit du journaliste du Délit, similaire à tant d’autres. En 1997, M. Groebner, arrêté puis relâché sans accusation, a donc porté plainte contre la GRC. Voici quelques extraits de la conclusion du Commissaire Ted Hughes sur son cas, expliquant d’abord l’objectif visé:
«Je dois examiner si le gendarme Carr était habilité à arrêter M. Groebner :
1. pour voies de fait simples, selon le pouvoir conféré à la police de procéder à des arrestations sans mandat, dans la situation exposée à l’article 495 du Code criminel;
2. pour violation de la paix, en vertu du paragraphe 31(1) du Code criminel; ou
3. pour une crainte raisonnablement fondée de violation de la paix, en vertu du pouvoir d’arrestation conféré par la common law.»
Et maintenant, voyons ce à quoi pourrait ressembler une invalidation point par point du travail du SPVM en 2012:
«L’alinéa 495(1)a) du Code criminel autorise un agent de la paix à arrêter sans mandat « une personne qui a commis un acte criminel » […] Le gendarme Carr et le caporal Walsh, de manière assez compréhensible, mais inexacte à mon avis, ont interprété à tort le geste de M. Groebner comme un acte de violence alors qu’il s’agissait tout simplement d’un geste d’agacement […]
Il est stipulé au paragraphe 495(2) du Code criminel qu’un agent de la paix ne doit pas arrêter une personne sans mandat pour certaines infractions (notamment voies de fait) s’il a des motifs raisonnables de croire que l’intérêt public peut être sauvegardé sans avoir recours à une arrestation sans mandat. L’un des facteurs à prendre en compte dans l’évaluation de l’intérêt public est la nécessité d’empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète. Si l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’intérêt public peut être sauvegardé sans arrêter la personne sans mandat, il ne doit pas l’arrêter. […]
Je pense que le gendarme Carr a agi ici avec précipitation. S’il était préoccupé par la conduite de M. Groebner, il aurait été raisonnable de le garder à l’oeil, mais il n’était pas dans l’intérêt public de procéder à son arrestation et à sa mise en garde à vue.
Je conclus que le paragraphe 495(2) du Code criminel interdisait au gendarme Carr d’arrêter M. Groebner. […]
Bien que l’arrestation ne soit pas autorisée par l’article 495 du Code criminel, l’avocat des 44 membres de la GRC a également fait valoir qu’elle était autorisée à la fois par le paragraphe 31(1) du Code criminel et le pouvoir d’arrêter que confère la common law en cas de crainte raisonnable de violation de la paix.»
Article 495 éliminé. Revenons donc à l’article 31:
«En vertu du paragraphe 31(1) du Code criminel, un agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix est fondé à arrêter l’auteur de l’infraction. On appelle violation de la paix une conduite qui, de façon générale, porte préjudice ou risque de porter préjudice à une autre personne, ou toute autre perturbation de la paix publique. Je ne pense pas que la conduite de M. Groebner pouvait être considérée comme une violation de la paix, ni qu’elle aurait pu raisonnablement être considérée comme telle, même si, techniquement parlant, on aurait pu l’associer à des voies de fait extrêmement mineures en vertu de l’article 265. Bien que dans la colère le contact le plus léger puisse constituer des voies de fait, je ne peux souscrire à l’idée que toutes les voies de fait, en tant que point de droit, constituent une violation de la paix en vertu de l’article 31 du Code criminel.
Je conclus que le paragraphe 31(1) du Code criminel n’habilitait pas le gendarme Carr à arrêter M. Groebner.»
Article 31: Oublié. Et la common law ?
«Tel qu’analysé plus tôt dans le présent rapport, un agent de la paix peut arrêter une personne de façon à empêcher une violation de la paix qui pourrait survenir, si l’agent est honnêtement convaincu pour des motifs raisonnables qu’il y a un risque réel de préjudice imminent […] Je suis convaincu que la police était véritablement préoccupée par la possibilité que la situation dégénère immédiatement après l’arrestation de M. Oppenheim. Le gendarme Carr se retrouvait au beau milieu d’une foule excitée, la tension entre la police et les manifestants ne faisait que monter et il avait reçu la consigne d’arrêter pour toute infraction, si la possibilité se présentait.»
Hum, foule excitée, tension entre police et manifestants, risque que ça dégénère… Ces conditions justifient-t-elles une arrestation préventive par crainte de violation de la paix ?
«Compte tenu du caractère insignifiant des voies de fait alléguées, il n’était pas raisonnable pour le gendarme Carr de conclure que la présence de M. Groebner présentait un risque réel de préjudice imminent. Je considère plutôt que le gendarme Carr a été indûment influencé par les consignes d’arrêter quiconque commettait une infraction, si la possibilité s’en présentait. Il a agi aveuglément sur ces instructions sans analyser la situation qu’il avait devant les yeux. S’il avait utilisé son bon sens, je suis convaincu que la raison lui aurait dit de ne pas procéder à l’arrestation comme il l’a fait à ce moment-là.
Par conséquent, le pouvoir d’arrêter de la common law pour une crainte raisonnablement fondée de violation de la paix n’habilitait pas le gendarme Carr à arrêter M. Groebner.»
Surprise. On a (encore) des droits.
Lectures complémentaires
Me Véronique Robert examine l’utilisation de l’article 31:
«Au nom de l’article 31, je vous arrête» (28 juin 2012)
Marie-Ève Sylvestre, Professeure, Section de droit civil, Université d’Ottawa:
Les arrestations préventives sont illégales et illégitimes (12 juin 2012)
Liens et ressources
L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) tente présentement de regrouper des témoignages sur le profilage politique qui a eu lieu cette fin de semaine ou durant la grève. Si vous avez vu ou vécu du profilage politique:
temoignage@asse-solidarite.qc.ca
L’ASSÉ recherche aussi des témoins pour un recours judiciaire.
L’Association des Juristes Progressistes étudie quant à elle le dépôt de plaintes à la Commission des droits de la personne et droits de la jeunesse et recueille les témoignages de gens fouillés en raison du port du carré rouge:
info@ajpquebec.org
Un dossier concernant la brutalité policière au Québec serait ouvert au Haut-Commissariat des Droits de l’Homme de l’ONU:
civilsociety@ohchr.org
Pour déposer une plainte en déontologie policière:
http://www.deontologie-policiere.gouv.qc.ca/
Pour plus d’informations:
• Surprise on a des droits
• Que faire suite à une arrestation ?
• Collectif opposé à la brutalité policière
• Site de Me Denis Poitras, pour les personnes arrêtées