«La Bolivie, tout au long de son histoire, a produit des minerais bruts et des discours raffinés. La rhétorique et la misère y abondent; depuis toujours, des écrivains maniérés et des docteurs en redingote ont consacré leur vie à blanchir les coupables.»
Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine
Lundi matin, j’ai traversé une frontière de plus. C’est en marchant tranquillement que je suis passé du Pérou à la Bolivie, le long d’un chemin poussièreux. Sur les rives du Lac Titicaca, à plus de 3800 m d’altitude, l’eau bout à 88ºC et les douaniers se foutent complètement de ce que vous avez dans votre sac à dos.
J’ai vécu à Arequipa pendant 15 jours. Arequipa, la Ciudad Blanca, bâtie de pierres volcaniques (blanches, bien sûr), entourée de volcans et maintes fois éprouvée par des séismes destructeurs. La ville de l’élite péruvienne, intellectuelle, artistique et politique. Et pendant les deux semaines que j’y ai passées, ville de grèves et de contestation.
Oh, rien à voir avec le soulèvement populaire bolivien du mois denier, mais quand même… Se sont alternés arrêts de travail, grèves, manifestations et autres protestations. Le secteur des transports a tout commencé, avec diverses réclamations concernant leurs conditions de travail et le prix des combustibles. La majorité des 15 000 taxis de la ville étaient en grève, les voies d’accès bloquées une journée, réouvertes le lendemain, bloquées pour trois jours… Un vrai cauchemar pour les autobus et les camions. Arequipa est devenue un lieu de transit à éviter. Puis se sont rajoutés aux protestataires divers mouvements sociaux et politiques, poussés par Patria Roja, un regroupement communiste péruvien. Sans doute excités par les récents mouvements en Bolivie, ils ont rajouté à leurs revendications la démission d’Alexandro Toledo, président du Pérou. Ça n’a pas dû choquer beaucoup de monde, son taux de popularité variant entre 6 et 8 %… Mais malgré l’expansion des mouvements de protestation, il ne faut pas s’attendre à une révolution au Pérou. Les élections s’en viennent en 2006, et chaque groupe politique essaie de gagner des points auprès de la population. Les grèves générales sont habituelles dans ce coin du monde.
Et pendant ce temps, j’ai étudié l’espagnol. J’ai passé des après-midi à lire dans un grand jardin, des soirées à me promener en ville, des matinées à conjuguer mes « preteritos », et des [autre moment de la journée] à lire les journaux et en apprendre un peu plus sur le Pérou et la Bolivie.
J’ai fêté la Saint-Jean, aussi… Le 23 juin au soir, les propriétaires de l’école célébraient justement le premier anniversaire de la section « hôtel ». Tous les étudiants et professeurs étaient invités, ainsi que les étudiants de l’école de cuisine et leurs travaux pratiques. Merveilleuse soirée, où Armando (le directeur) m’a joyeusement initié à la consommation de Pisco pur. Ça, c’était après la bouteille de vin partagée avec deux amis étudiants et les cocktails (pisco sour et algarobina) des cuisiniers. Et avant la bouteille de Whisky sortie par Armando quand il s’est rendu compte que les quatre bouteilles de Pisco étaient vides. À la fin de la fête, je suis retourné tout heureux dans ma petite chambre et je me suis endormi en pensant au Québec, non sans avoir précédemment rendu au sol du Pérou son alcool national… Le lendemain, j’ai manqué mes premières heures de cours.
En deux semaines à Arequipa, j’ai pu visiter le Canyon de Colca, admirer de grands condors voler à quelques mètres de mon visage, faire la tournée des bars et cafés avec Jamel, un ami péruvien rencontré là bas, visionner « La guerre des mondes » le jour de sa sortie mondiale, expérimenter pour la première fois quelques uns des effets de la turista (je crois que mon organisme n’a pas trop aimé la St-Jean que je lui ai offert), rencontrer Juanita, petite fille inca retrouvée congelée au sommet d’un volcan, bien d’autres choses qui m’échappent et un des points forts de mon voyage, voir en spectacle Susana Baca, chanteuse afro-péruvienne, l’artiste du Pérou la plus célèbre hors du Pérou.
Et puis j’ai profité d’un relâchement dans les blocages de route pour partir de nuit vers Puno dimanche dernier. J’y suis arrivé vers minuit, mais la situation à venir pour le lendemain (d’autres grèves) m’a convaincue de repartir le plus tôt possible. Après quelques heures de sieste tout habillé sur mon lit d’hostal, j’ai pris le premier bus pour la Bolivie. Et après deux jours à Copacabana, de nombreuses rencontres, une visite de l’Île du soleil et quelques café-baileys, me voici à La Paz.