Texte original publié le 28 avril 2012 comme article Facebook. Archivé ici le 30 décembre 2012.
Hier, je bouillais, je tremblais, j’étais en furie contre Jean Charest et Line Beauchamp. Je détestais leur arrogance, leur mépris, leur condescendance et leurs mensonges éhontés. Mon ordinateur qui retransmettait leur conférence de presse en direct ne s’était jamais fait autant insulter.
Quand j’ai appris qu’à Québec la police était en train d’arrêter en masse les participants et participantes d’une tranquille manifestation féministe, dès le moment où ils ont mis le pied dans la rue, j’ai éclaté à nouveau. Je voulais marcher, crier, manifester et exprimer ma frustration à haute voix. Mais comme je ne peux pas faire la grève de mon travail le vendredi soir, j’ai lacé mes souliers, j’ai enfilé mes pantalons propres et ma chemise et je suis allé au restaurant, servir des clients qui dépensent pour un seul souper 80 jours de «juste part à 50 cennes par jour». Dessert et café non inclus.
La hausse de la hausse, cumulative, représente à terme un coût additionnel de 4,87$ par jour. Si on y ajoute la hausse de 500$ entre 2007 et 2012, ça fait 6,25$ de plus par jour, 365 jours par année (Voir aussi l’analyse de la nouvelle offre par l’économiste Gérald Fillion).
Au cégep et ma première année d’université, de 2003 à 2006, avant le dégel des frais de scolarité, j’avais un budget d’épicerie de 5 à 6$ par jour. Sinon, je n’arrivais pas. Ma chambre me coûtait moins de 200$/mois, à 5 dans un 5 1/2. Enfants gâtés ? Où ça des enfants gâtés ?
C’est parfois rassurant de s’éloigner des cercles étudiants. Nous sommes quatre employés au restaurant le vendredi soir. Aucun n’est étudiant au cégep ou à l’université. Tous appuient la lutte étudiante.
Parfois, c’est aussi inquiétant de s’éloigner des cercles étudiants. J’ai entendu un client, baby-boomer bavard et buveur, comparer Gabriel Nadeau-Dubois à Oussama Ben Laden: «C’est un petit terroriste qui menace la sécurité de l’État Québécois».
Tsé, quand tu te retiens d’engueuler un client par respect pour ton patron…
Je ne me suis pas joint à la grande manif nocturne, ayant fini de travailler trop tard, même si les milliers de marcheurs semblaient inépuisables. Si le restaurant avait été fermé hier soir, il y aurait eu au moins trois personnes de plus dans la rue, moi et deux collègues. Ça a l’air de rien, mais quand on pense à la quantité d’étudiants et d’étudiantes qui travaillent 15-20 heures chaque fin de semaine pour payer leurs frais de scolarité, leur loyer et leur épicerie, au lieu d’étudier ou de manifester, ça en fait du monde.
C’est ce que je me suis dit: y a du monde en maudit qui observent sans pouvoir participer. Qui n’ont pas le droit de grève. Qui bouillent tous seuls devant leur écran, qui ne peuvent pas sortir dans la rue car ils s’occupent des enfants ou qui ne n’osent pas sortir avec leurs enfants car ils craignent les policiers. Y a du monde en maudit qui ont deux jobs pour arriver, qui ont un pied dans le plâtre, des cours de soir, des parents inquiets et contrôlants, des chums et des blondes bourrés de préjugés.
Y a du monde dans la rue, mais y a du monde en maudit qui sont ailleurs et projettent tous leurs espoirs vers ceux et celles qui peuvent prendre la rue.
Hier tous les cégeps qui ont eu à se prononcer sur la grève l’ont renouvelé. Des écoles secondaires s’ajoutent au mouvement. Des verts s’empourprent (Pascal Henrard était pour la hausse, il est maintenant contre). Hier soir, j’ai encore une fois enlevé un de mes carrés rouges pour le donner à une personne qui veut maintenant en porter un.
Tout à l’heure, j’écoutais en différé Jean Charest défendre sa position (Téléjournal de vendredi 18h). Cet homme a l’air crevé, à bout de souffle. Il est irritable, méprisant, agressif. Incapable de répondre oui ou non à une question sur des élections printanières, il multiplie les détours pour minimiser la grogne étudiante et démoniser ses adversaires politiques.
Je me dis qu’il est fatigué, mais que son caucus doit le soutenir fortement, pour qu’il continue à être aussi arrogant. Sauf que… je lis La Presse d’aujourd’hui et je me réjouis (Droits de scolarité, le caucus libéral divisé).
Le caucus libéral s’est fracturé. Line Beauchamp était prête à reculer depuis un mois. C’est son chef qui fait le tough, qui s’entête. Jean Charest et ses sous-fifres ont tout fait pour manipuler l’opinion publique. Ils l’ont bien fait, malheureusement (10 stratégies de manipulation de masse appliquées à la lutte étudiante). Mais le mouvement ne s’épuise pas. Lui oui.
Dans un mouvement collectif, chaque geste compte. Chaque manif compte. Malgré la fermeté et la force qu’il tente de laisser paraître, Jean Charest est à bout, affaibli, fragilisé. Pour reprendre l’excellente formule de mon frère:
«Exclamons-nous jusqu’à ce qu’il plie, ou qu’il s’effondre.»