Le 31 mars 2014, la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012, présidée par Serge Ménard, a déposé son rapport au Ministère de la sécurité publique, qui avait ensuite 45 jours pour le rendre public. Une élection et un changement de gouvernement plus tard, le 14 mai 2014, c’est à la toute fin de ce délai de 45 jours que le gouvernement libéral a mis en ligne ce rapport de 451 pages. La publication a eu lieu quelques minutes avant le septième match du quart de finale des séries éliminatoires de hockey opposant les Canadiens de Montréal aux Bruins de Boston. En communications publiques, ce genre de coincidence en pleine éclipse médiatique n’est pas le fruit du hasard.
En attendant d’en faire une lecture plus détaillée, il me semble nécessaire de rendre accessible et facile à consulter les vingt-huit recommandations du rapport, sans avoir besoin de télécharger et parcourir ses 451 pages. Je copie donc intégralement ces recommandations. Les seules modifications effectuées sont des retours de ligne et le remplacement des guillemets utilisés tout au long du rapport par les apostrophes appropriés.
Télécharger le rapport complet (451 pages, 7,4 Mo):
RAPPORT – Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012 (Rapport Ménard)
Recommandations
RECOMMANDATION I: Prévenir les crises sociales
Dans le but d’éviter que les conflits ne dégénèrent en crise sociale, la Commission réitère l’importance de la négociation et de la médiation. L’État, comme tous les acteurs sociaux, la la responsabilité de recourir à tous les moyens disponibles, notamment la médiation, pour trouver des solutions appropriées et assurer l’intérêt général et la paix sociale.
RECOMMANDATION II: Démocratie étudiante et droit de grève
La Commission recommande au gouvernement de clarifier la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants en reconnaissant un droit de grève étudiant dont l’exercice devrait être balisé par l’obligation de recourir à un vote secret, après convocation de tous les étudiants concernés et ce, à l’occasion de tout vote de
grève.
RECOMMANDATION III: Présomption de légalité des manifestations pacifiques
La Commission fait sienne la recommandation du Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association à l’effet que les manifestations pacifiques doivent pouvoir bénéficier d’une présomption de légalité. La Commission recommande donc au ministre de la Sécurité publique d’amender son Guide de pratiques policières en contrôle de foule pour qu’il inclue cette présomption de légalité des manifestations pacifiques et qu’il s’assure que les politiques de gestion de tous les corps policiers reprennent cette mention.
RECOMMANDATION IV: Notification des manifestations
Prévoir que les organisateurs de manifestation aient désormais l’obligation de notifier l’événement aux autorités publiques, sauf exception pour les manifestations spontanées.
RECOMMANDATION V: L’article 500.1 du Code de la sécurité routière
Considérant la divergence majeure entre l’objectif initial de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière et celui poursuivi par les autorités policières lors des manifestations, la Commission recommande de suspendre l’utilisation de cette disposition dans un contexte de manifestations, jusqu’à ce que les tribunaux se prononcent sur sa constitutionnalité.
RECOMMANDATION VI: Cas isolé de violence
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de rappeler aux corps policiers que le recours aux stratégies de contrôle de foule doit demeurer exceptionnel et qu’une manifestation pacifique ne doit pas être dispersée sur la base d’actions isolées de perturbateurs.
RECOMMANDATION VII: Accès des médias aux manifestations
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique qu’il s’assure que les corps policiers garantissent un accès sans restriction aux médias lors des manifestations. Qu’il rappelle aussi aux organisateurs de manifestation qu’ils ont la responsabilité de favoriser cet accès.
RECOMMANDATION VIII: Veille des réseaux sociaux
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de sensibiliser les services de police à l’importance de procéder à une veille des réseaux sociaux dans leur procédure d’évaluation des risques.
RECOMMANDATION IX: Les avis de dispersion
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique d’amender le Guide des pratiques policières pour tenir compte des éléments suivants :
a) Ne donner un avis de dispersion qu’en dernier recours, lorsqu’il apparaît évident que le rassemblement a perdu son caractère pacifique.
b) S’assurer que tous les individus présents sur les lieux d’un rassemblement puissent entendre clairement les avis de dispersion et qu’ils aient un délai raisonnable et une réelle possibilité de se disperser.
RECOMMANDATION X: Les opérations d’encerclement
Considérant que, selon toutes les apparences, il y a eu des manquements lors des nombreuses opérations d’encerclement et d’arrestation de masse au cours du printemps 2012, la Commission émet les recommandations suivantes:
a) Les stratégies d’encerclement et d’arrestation de masse ne devraient être utilisées qu’en dernier recours, toucher le moins possible les manifestants pacifiques et avoir pour objectif de retirer des individus qui se dissimulent dans la foule et qui ont commis ou qui s’apprêtent à commettre un acte criminel.
b) En ce qui concerne la possibilité de sortir d’un encerclement, la Commission recommande que les autorités policières procèdent très tôt à la diffusion d’avis clairs et non équivoques indiquant :
– Les motifs de l’encerclement.
– La possibilité de sortir de l’encerclement avec le consentement des policiers.
– L’endroit où se trouvent les voies de retrait.
c) La privation de liberté, même lorsqu’elle est justifiée, doit être limitée dans le temps et proportionnelle à la gravité de l’infraction reprochée.
d) Sur la question des motifs de l’arrestation, la Commission insiste sur leur communication à la foule encerclée.
RECOMMANDATION XI: Les conditions de détention lors des arrestations de masse
La Commission est d’avis que les corps policiers qui effectuent des arrestations de masse doivent adapter leurs procédures afin de permettre le traitement efficace des personnes arrêtées. À cet égard, elle émet les recommandations suivantes :
a) Prévoir des effectifs policiers suffisants, non seulement pour assurer la surveillance des détenus, mais également pour répondre aux besoins essentiels et vitaux, notamment l’approvisionnement en eau et en nourriture et l’accès à une toilette.
b) Évaluer l’opportunité d’envoyer par la poste les constats suite à l’identification des personnes arrêtées afin de réduire la durée de la détention au strict minimum.
c) S’assurer que la remise en liberté se fasse à une distance raisonnable du lieu
de l’arrestation.
RECOMMANDATION XII: L’émeute de Victoriaville
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de demander au nouveau directeur de la Sûreté du Québec de s’enquérir des raisons des nombreuses carences observées au niveau du renseignement criminel, dans l’organisation de l’opération policière et dans l’inspection des lieux lors de la manifestation du 4 mai à Victoriaville afin que de telles carences ne se reproduisent plus.
RECOMMANDATION XIII: Contact avec les organisateurs de manifestations
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de rendre obligatoire les pratiques suggérées dans le Guide des pratiques policières en contrôle de foule, de façon à ce que chaque corps policier soit tenu d’établir des contacts avec les organisateurs de manifestation non seulement durant mais aussi avant la manifestation.
RECOMMANDATION XIV: Les équipes spécialisées de prévention et d’intervention
Dans le but de privilégier les actions ciblées contre ceux qui commettent des actes criminels et de minimiser les actions dirigées contre l’ensemble des manifestants pacifiques, la Commission encourage le recours à des équipes spécialisées de prévention et d’intervention lors des manifestations, mais uniquement contre les auteurs d’actes criminels clairement identifiés.
RECOMMANDATION XV: La cavalerie
La Commission recommande que la cavalerie soit utilisée lors des manifestations uniquement
pour faire de la gestion de foule.
RECOMMANDATION XVI: Les armes intermédiaires d’impact à projectiles (AIIP)
Concernant l’utilisation des armes intermédiaires d’impact à projectiles (AIIP) (communément appelées balles de plastique ou de caoutchouc mousse selon le matériau de leurs têtes), la Commission recommande au ministre de la Sécurité publique:
a) de s’assurer de l’uniformisation de la formation et de l’entraînement des tireurs à l’échelle du Québec.
b) de créer, sous l’égide de l’ÉNPQ, un comité spécial chargé de mettre à jour l’étude de l’ÉNPQ de 2005, en s’assurant qu’un expert médical y siège.
c) d’établir un protocole d’utilisation des AIIP uniforme dans tout le Québec, incluant les cinq principes d’orientation pour une pratique policière énoncés dans l’étude de 2005.
d) de s’assurer que chaque tireur ait connaissance de ce protocole d’utilisation et qu’il en reprenne connaissance avant chaque opération où il est appelé à utiliser son arme.
e) de faire en sorte que chaque tireur soit équipé d’un dictaphone permettant l’enregistrement en temps réel de ses propos décrivant ses actions et observations, lequel enregistrement devra être transcrit intégralement et consigné à son rapport d’utilisation.
f) de faire en sorte que le casque de tous les tireurs d’AIIP soit muni d’une caméra devant être actionnée à chaque opération où il est appelé à utiliser son arme et durant toute sa durée.
g) de déclarer un moratoire sur l’utilisation des AIIP en contrôle de foule tant que les mesures recommandées aux paragraphes c,d,e et f ne seront pas réalisées.
RECOMMANDATION XVII: Concilier secrets policiers et imputabilité démocratique
La commission recommande la création d’un Comité spécial multipartite de l’Assemblée nationale sur l’utilisation des armes intermédiaires d’impact à projectiles, composé d’un nombre restreint de députés, chargés d’examiner toute question relative à l’utilisation de ces armes et à qui devraient être soumis annuellement tous les rapports circonstanciés et films des services de police liés à l’utilisation de ces armes.
Les membres de ce Comité au nombre de (+ou-) six devraient être nommés par décret sur proposition du ministre de la Sécurité publique. Au moins deux d’entre eux devraient provenir d’un autre parti que le parti gouvernemental. Ils devraient être choisis après consultation du chef de ce ou de ces partis. Les membres provenant du parti gouvernemental ne devraient être ni ministre ni adjoint parlementaire.
Avant d’entrer en fonction, ils devraient prêter un serment de confidentialité par lequel ils s’engageraient à garder secret ce qu’ils auraient vu ou lu dans l’exercice de leur fonction comme membre de ce Comité spécial.
RECOMMANDATION XVIII: Les gaz lacrymogènes
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de mettre en place un groupe de travail composé de représentants du ministère de la Sécurité publique, de la direction des services pré-hospitaliers du ministère de la Santé et des Services sociaux, des corps policiers et des ambulanciers de façon à convenir d’un protocole pour assurer une intervention rapide, efficace et sécuritaire auprès des blessés lors des manifestations. Le groupe de travail devrait se pencher sur l’organisation du travail, la formation et les équipements requis. Des services spécialisés doivent être disponibles au besoin non seulement à Montréal, mais dans un plus grand nombre de municipalités. On doit à l’occasion pouvoir déplacer ces équipes selon les besoins.
RECOMMANDATION XIX: Le secours aux blessés
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de mettre en place un groupe de travail composé de représentants du ministère de la Sécurité publique, de la direction des services pré-hospitaliers du ministère de la Santé et des Services sociaux, des corps policiers et des ambulanciers de façon à convenir d’un protocole pour assurer une intervention rapide, efficace et sécuritaire auprès des blessés lors des manifestations. Le groupe de travail devrait se pencher sur l‟organisation du travail, la formation et les équipements requis. Des services spécialisés doivent être disponibles au besoin non seulement à Montréal, mais dans un plus grand nombre de municipalités. On doit à l’occasion pouvoir déplacer ces équipes selon les besoins.
RECOMMANDATION XX: Le poivre de Cayenne
La Commission recommande au ministre de la Sécurité Publique d’interdire le poivre de Cayenne dans le contexte particulier du contrôle de foule, sauf dans le cas où la vie ou l’intégrité physique du policier est mise en cause.
RECOMMANDATION XXI: Les grenades assourdissantes
La Commission suggère au ministre de la Sécurité publique d’interdire l’utilisation des grenades assourdissantes en contrôle de foule, au Québec, jusqu’à ce qu’il soit en mesure de rendre publiques des études probantes sur leur utilité et les risques qu’elles représentent.
RECOMMANDATION XXII: Le choix des équipements
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de mettre en place, avec les services de police et l’ÉNPQ, un mécanisme de sélection des équipements policiers fondé sur des critères préalables (cadre légal, pertinence, alternatives, etc.) et de tenir compte de l’opinion de plusieurs spécialistes provenant de différentes sources.
RECOMMANDATION XXIII: Bâtons
a) La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique d’inviter les services de police à réévaluer à la lumière du mécanisme de sélection des équipements prévu à la recommandation précédente, si l’utilisation du bâton de type PR24 est opportun.
b) La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique de s’assurer auprès des services de police que le bâton télescopique ne soit pas utilisé comme une alternative acceptable en contrôle de foule.
RECOMMANDATION XXIV: La sélection des policiers
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique d’inviter les services de police de veiller à ce que l’accès au poste de policiers appelés à oeuvrer en contrôle de foule se fasse en s’assurant qu’ils possèdent le profil psychologique et le passé disciplinaire requis.
RECOMMANDATION XXV: La déontologie
La Commission recommande :
a) Que le ministère de la Sécurité publique prenne les moyens nécessaires pour informer les citoyens qu’ils peuvent s’adresser au Bureau des enquêtes indépendantes pour toute plainte concernant le comportement répréhensible d’un ou de plusieurs policiers dans le cadre d’une manifestation.
b) De soumettre à l’Assemblée nationale, un amendement à l’article 289.3 de la Loi sur la police afin de confier au Bureau des enquêtes indépendantes les pouvoirs de recevoir les plaintes portant sur toute allégation de comportement répréhensible par des policiers lors de manifestations:
– d’enquêter systématiquement sur celles d’entre elles qui sont entièrement ou partiellement de nature criminelle et de soumettre le résultat de son enquête au Directeur des poursuites criminelles ou pénales s’il estime que des accusations de nature criminelle doivent être portées
– de référer celles qui sont de nature déontologique directement devant le Comité de déontologie policière et d’accompagner le plaignant durant l’audition de la plainte
– de référer à l’employeur du policier concerné, celles qui sont entièrement
ou partiellement de nature disciplinaire pour la partie disciplinaire.
c) Qu’il soumette également un amendement à la même loi pour permettre au directeur du Bureau des enquêtes criminelles de déclencher, de sa propre initiative, une enquête s’il l’estime nécessaire, sur une série de gestes répréhensibles commises par les policiers lors d’une manifestation.
d) Dans l’intervalle, que le ministre de la Sécurité publique ait systématiquement recours au pouvoir discrétionnaire que lui confient les articles 279 et 289.3 de la Loi sur la police pour confier au Bureau des enquêtes indépendantes toute allégation de brutalité policière lors de manifestations.
e) À défaut de modifier l’art. 289.3 de la Loi sur la police tel que suggéré plus haut, que le ministre de la Sécurité publique fasse modifier la Loi sur la police afin de permettre au Commissaire à la déontologie de mener des enquêtes de sa propre initiative lorsqu’il a connaissance de possibles manquements déontologiques lors de manifestations.
RECOMMANDATION XXVI: Le matricule
a) Revoir le cadre juridique, afin qu’il soit explicite quant à l’obligation de porter le matricule, devant et derrière, sur les vêtements et sur le casque, et afin que tout manquement à cet égard soit susceptible d’enclencher le processus déontologique.
b) Les policiers doivent pouvoir être identifiés, de face et de dos, à tout moment et à bonne distance. À cet égard, inviter les services de police à apposer le numéro de matricule sur les vêtements et sur le casque, notamment devant et derrière tous les casques de contrôle de foule; avec de gros chiffres visibles de loin, même lorsque la visière est relevée.
c) Inviter les services de police à prévoir une surveillance accrue par les supérieurs des équipes de policiers oeuvrant en contrôle de foule.
RECOMMANDATION XXVII: La formation
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique :
a) De faire valoir au Comité de concertation sur la formation des futurs policiers et des futures policières du Québec, que l„enseignement de l’histoire du développement de la police moderne au service des citoyens, de celle de la reconnaissance progressive des droits de la personne et des valeurs démocratiques sont aussi importants dans la formation des policiers que les savoir-faire et qu’elles doivent commencer dès le cégep.
b) De s’assurer que les contenus de formation concernant la gestion du stress soit renforcés de façon à pouvoir faire face à des situations exceptionnelles comme celles du printemps 2012.
c) De voir à uniformiser la formation en contrôle de foule à l’échelle du Québec avec le concours des grands corps de police et sous la supervision de l’ÉNPQ pour qu’elle soit le produit d’un échange des meilleures pratiques. Cette formation pourrait être donnée tant dans certains corps de police qu’à l’ÉNPQ.
RECOMMANDATION XXVIII: Concernant la lutte contre le mépris
La Commission recommande au ministre de la Sécurité publique qui est responsable de l’École nationale de police du Québec, conjointement avec le ministre de l’Enseignement supérieure, de la Recherche, de la Science et de la Technologie qui est responsable de la formation donnée en techniques policières dans les cégeps, de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’au terme de leur formation, les policiers aient assimilé l’importance des questions liées au respect du droit de manifester et aient acquis la conviction profonde qu’en assurant l’exercice pacifique de ce droit, ils sont des acteurs essentiels dans une démocratie vivante et progressiste. C’est un rôle noble parfois difficile dont ils doivent être fiers.»
Notes
Ces recommandations se trouvent aux pages 355 à 363 du rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012 (Rapport Ménard). Chacune d’entre elles constitue la conclusion résumée d’une section du rapport: on peut donc en savoir plus sur chacun des points en lisant le chapitre correspondant du document.