Mon interprétation de l’expression «printemps érable», publiée le 2 mai 2012 comme article Facebook. Ce texte a été édité dans le livre collectif Pour un printemps. Les deux derniers paragraphes ont été ajoutés le 21 juin, lors de la lecture publique à l’occasion du lancement du livre. La version publiée a été commentée dans un article du journal Le Monde. Archivé ici le 30 décembre 2012.
C’est le temps des sacres
(Un manifeste d’érablière)
C’est le temps des sacres et de la glace qui craque.
D’une ostie de marche nocturne à une tabarnak de grosse manif, c’est la sève radicale de l’érable qui fait notre printemps. Cette sève se faufile des racines jusqu’aux bourgeons, sous une écorce rigide mais bien entaillée. C’est elle qui nourrit l’arbre en entier et ravive son métabolisme endormi.
Par chez nous, tout le monde sait que la sève brute se récolte les jours de dégel, après de longues nuits de gel. Les autochtones nous l’ont appris et on s’en souvient très bien.
Tout le monde sait que l’eau d’érable doit passer par une lente ébullition pour devenir du sirop de qualité. Elle ne se dilue pas dans le processus, au contraire, elle se raffine et se concentre, elle développe toute sa force de caractère.
Messieurs et mesdames de la haute finance et de la gouvernance, tenez-vous le pour dit… Que l’on préfère le AA extra-clair ou le C ambré n’y change rien: vous n’arriverez pas à nous faire passer votre sirop de poteau néolibéral dans la gorge.
Vous aimez bien pavaner vos petits pots de sirop de luxe dans de grandes rencontres internationales et les offrir à des alliés commerciaux bien placés. Mais vous trouvez vulgaires les oreilles de crisse et on ne vous verra à la cabane à sucre qu’au temps des élections, pour conquérir les entrepreneurs beaucerons.
La bouilloire est chauffée au rouge. Le travail est épuisant, la sueur coule, les pieds souffrent. On sait que la récompense en vaut la peine, que jeunes et vieux profiteront du fruit de notre labeur. Notre sirop ne s’enflamme certes pas aussi brusquement que le pétrole arabe, mais c’est une ressource renouvelable.
Vous avez voulu voir de quel bois nous nous chauffions ? Qu’en pensez-vous maintenant, les pieds dans la sloche et le corps collé sur le poêle, la face drette dans la vapeur ? Si ce n’est pas encore assez chaud pour vous, il nous reste une couple de cordes à brûler. Au pire, on retournera bûcher.
On entend une rumeur de campagne.
Mais c’est tout le Québec qui bouille.
Nos traditions revivent.
Votre reddition arrive.
Notre printemps est érable.
Le vôtre est misérable.
Ajout, 21 juin 2012:
À la cabane à sucre, quant toute la famille se rend compte qu’il y a deux ou trois vieux ciboires qui ont mangé toute la tire dans un coin, puis qu’ils vont dire aux enfants qu’il n’en reste plus…
Bin câliçe, ces crottés-là…
C’est le temps des sacrer dehors !