N’Djamena, capitale du Tchad, est en proie à des combats opposant les forces rebelles à l’armée nationale, depuis vendredi dernier. La situation semble s’être calmée légèrement, mais aucun bilan des victimes n’a été diffusé, ni du côté gouvernemental, ni du côté des rebelles, ni du côté de la population prise entre deux feux.
Toutes mes pensées de solidarité vont à mes amis sur place. J’espère qu’ils sont en sécurité et qu’ils pourront reprendre leur vie normale bientôt, peu importe qui occupe le palais présidentiel.
* Mise à jour, 4 février:
Je me souviens très clairement du sentiment de révolte et d’injustice éprouvé lorsque j’ai lu Un Dimanche à la piscine de Kigali, de Gil Courtemanche, il y a quelques années. Ce roman faisait vivre au lecteur le drame du génocide rwandais, du point de vue du journaliste canadien Valcourt. L’injustice était soulignée à gros traits. D’un côté les Blancs insouciants, hors d’atteinte physiquement dans leur hôtel de luxe et hors d’atteinte moralement dans leur complaisance de bas-étage. De l’autre côté, les populations civiles, bourreaux et victimes, entremêlées dans un conflit aussi absurde que dévastateur. Il s’agissait d’une fiction, mais elle a su faire comprendre la portée réelle du conflit bien plus que les reportages présentés par les journalistes étrangers depuis leurs chambres d’hôtel.
«Spectateur intéressé mais distant. C’est ainsi que les Blancs de l’hôtel, petits dieux instantanés, entendent et devinent l’Afrique. D’assez près pour en parler et même écrire à son sujet. Mais en même temps si isolés dans leurs ordinateurs portatifs, leurs Toyota climatisées et leurs chambres aseptisées.»
– Gil Courtemanche, Un Dimanche à la piscine de Kigali
Je pensais à tout ça en essayant de trouver des nouvelles du Tchad qui m’en apprendraient un peu sur les civils de N’Djamena, parmi lesquels figurent mes amis, mes collègues et mes familles d’accueil de l’été dernier. J’ai trouvé bien peu. Et j’ai été pris d’un fort malaise à la vue de ces vidéos envoyés par une équipe de coopérants américains.
Ils ont pris la peine de filmer puis de publier des rushes (séquences non éditées) de leur hôtel et de l’évacuation en tanks avec l’armée française. La BBC a repris certaines de leurs images. Vous pourrez les retrouver en recherchant « ndjamena » et « rebelles » sur Youtube.
Je comprends qu’en plein coeur d’un conflit, on n’en perçoive pas toujours la portée, ni la portée de nos propres gestes ou commentaires. N’empêche que d’entendre presque en direct des expatriés blaguer sur le fait que les tanks qui les évacuent ne sont pas climatisés, avec tout ce qui se déroule de l’autre côté de leur filet de sûreté, ça me révolte. Bien sûr, j’écris ces phrases depuis le calme de mon foyer québécois. Mais j’aurais presque envie d’être encore là-bas pour être au côté des familles Amboussidi et Lapate, de Samuel et de tous mes amis. Je me sens complètement impuissant.
* Mise à jour, 10 février:
Des membres du journal Rafigui ont envoyé un reportage suite aux attaques, dans lequel ils rapportent les graves dommages qu’ont subi des bâtiments civils: «Les dommages les plus importants au Lycée du Sacré-Coeur sont ceux de la bibliothèque. Un obus y est tombé. La bibliothèque a pris feu. Aucun livre n’a survécu à l’action des flammes. Seuls restent des cendres et des cadres en fer des tables et bancs. La dalle de l’étage n’est plus solide. Le risque que l’immeuble s’écroule est grand. Les vitres du bâtiment dans lequel est située la bibliothèque et l’administration sont toutes brisées. On peut voir beaucoup de trous sur les murs et les fenêtres.» (Fangbo Bruno & Adjeffa Gamma Esaïe, 10 février 2008)
Le reportage complet et plusieurs photos sont en ligne sur Rafigui.net.
Commentaires
2 réponses à “Attaque des rebelles au Tchad”
Bonjour Moïse,
J’ai vaguement entendu parler (selon ce que les médias laissent entendre) que ça bardassait au Tchad. Ça m’a fait pensé à toi et je me demandais si, ainsi que comment, cette réalité à fait partie de ton expérience?
De ce que je comprends de ton texte, ça se situe à plusieurs niveaux parfois selon un regard personnel, un regard journalistique ou anthropologique.
J’entends ton impuissance, j’espère que tes amis vont bien.
En effet, on n’en parle pas beaucoup en Amérique du Nord. Les événements sont plus couverts dans les médias français, qui entretiennent une relation particulière avec l’ancienne colonie. Plusieurs articles trouvés sur Internet ces derniers jours témoignent d’ailleurs de la position ambigüe de la France dans le conflit, qui a près de 1500 soldats au Tchad depuis les années 1990. Elle ne s’interpose pas et s’applique surtout à évacuer les étrangers. Lorsque le président actuel, Idriss Déby, a pris le pouvoir par un coup d’état semblable, la France soutenait son prédécesseur, le président Habré. Dans les dernières années, la garnison française est intervenue régulièrement pour maintenir la région dans le calme, de la reconnaissance aérienne jusqu’aux bombardement des rebelles, allèguent les Tchadiens.
Cette fois, on dirait que la France attend de voir qui prendra le dessus avant de soutenir un camp…
Pour répondre plus précisément à Leslie, la situation était plutôt calme pendant mon séjour. Bien sûr, il y avait une présence militaire en ville, ce à quoi nous ne somme pas habitués au Canada, mais il n’y avait pas de conflit ouvert et le plus grand danger était sans doute les voleurs de téléphones portables. Le dernier affrontement dans la capitale remonte au 13 avril 2006 et s’était soldée par la retraite des rebelles et de nombreuses morts de leur côté.
Pour la plupart des Tchadiens et Tchadiennes avec qui j’ai discuté, tout ça se résume à un mot: « insécurité ». L’insécurité désigne les rebelles, les militaires agressifs, le conflit au Darfour, tout ce qui représente un danger pour la population. Dans une situation aussi complexe, c’est peut-être la façon la plus simple de voir tous ces conflits.