À l’image du Tchad

Lorsqu’un photographe fige sur pellicule une image, il la modifie nécessairement, lui insuffle une part de sa personnalité. Autant par ce qu’il cadre que par ce qu’il choisit d’ignorer. Mais ses images sont toujours ouvertes à la réinterprétation. Plusieurs photographes professionnels avouent leur crainte d’accompagner leurs photos de mots ou de descriptions, disant préférer laisser parler les images d’elles-mêmes. Mon collègue Gopesa Paquette, qui est lui aussi sur son terrain de formation pratique cet été, en aurait long à dire sur le sujet…

J’ai choisi cette semaine de laisser parler les images, ou plutôt, de laisser s’exprimer ceux qui les interprètent en dernier, c’est-à-dire vous. Si le jeu vous intéresse, utilisez les commentaires au bas de l’article pour analyser une seule ou toutes les photos suivantes et expliquer ce qu’elles représentent ou ce qu’elles vous évoquent. Par ce qu’elles montrent ET par ce qu’elles cachent, bien entendu. En somme, à vous d’écrire les légendes.

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Note

Depuis la publication originale de cet article, la fonction «Commentaires» a été désactivée. Voici donc mes propres légendes sur ces photos:

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La table de travail de Samuel, à Walia, éclairée par les rayons de soleil qui traversent la fenêtre. J’y ai moi-même travaillé une seule fois durant mon séjour là-bas, préférant rester assis sur le matelas ou bien dehors sur une chaise de plastique lorsque j’avais à écrire. J’aurais pu arranger minutieusement chaque objet pour composer une belle nature morte, mais c’est justement leur arrangement naturel qui m’a attiré. À défaut d’électricité, c’est la lampe-tempête au pétrôle qui nous éclairait à chaque soir, à partir de 19h.

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Les membres du journal Rafigui se réunissent dans la chaleur étouffante de leur local, autour des quelques trésors informatiques qui leur permettent de créer leur publication jeunesse.

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Cet homme, nul autre que le papa de Mini-Mini Médard est en plein conversation téléphonique avec son fils. Du village de Manga Dongo au Tchad jusqu’au Canada, les téléphones mobiles permettent à des parents éloignés de rester en contact. Ce matin-là, l’appel de Mini-Mini a réjoui ses proches du village, qui n’avaient pas pu lui parler depuis des années. J’espère avoir l’occasion d’approfondir la question des téléphones mobiles dans un prochain article.

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De retour à N’Djamena, la famille de Médard me reçoit quelque heures dans leur petite concession du quartier Amtouqui. Juste avant de repartir, la maman insiste pour être filmée en train de faire la cuisine. Ça fera de beaux souvenirs pour son fils là-bas, au Canada… C’est une belle image « portrait », où l’on voit la personne de plein pied entourée des objets qui constituent son quotidien. Le pilon et le mortier pour écraser le mil qui servira à préparer la boule, les feuilles pour la sauce qui mijote sur le feu, le ganoun à l’arrière pour la cuisson au charbon… On pourrait presque croire à un arrangement longuement étudié pour une exposition ethnographique, mais c’est une photo prise sans artifices.

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Capture d’un moment parmi d’autres lors du camp des scouts de N’Djamena à Bongor. Pour se distraire en attendant la prochaine activité, les jeunes jouent du tam-tam et chantent des chansons, jouent à la pétanque et au foot, dorment sur des nattes et rient de bon coeur.

Image 6

Ce petit garçon, tout attendrissant qu’il soit avec son oiseau, aurait sans nul doute durement éprouvé votre sensibilité si vous pouviez l’avant et l’après de la photo. Ces petits oiseaux sont capturés en groupe au filet puis vendus pour quelques sous au marché, grillés à la braise ou vivants, leur patte retenue par une ficelle. Le gamin et ses amis traînaient déjà leur captif depuis un bon moment lorsqu’ils sont venus jouer près de moi et s’amuser à poser pour la caméra. Je doute que l’oiseau ait survécu longtemps… Mais attention aux jugements trop hâtifs et aux accusations de cruauté. Les rapports entre les êtres humains et les animaux ne sont pas partagés universellement. Les Tchadiens trouveraient sans doute totalement absurde que l’on cajôle un chien comme notre propre bébé, que l’on mange de la viande à tous les jours sans avoir jamais vu un animal se faire égorger et que l’on râcle sans pitié le fond des océans pour mettre du poisson en canne…

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Image anonyme, mais qui est le plus anonyme ? Le vendeur dont moi-même je ne connais rien, ou bien le photographe qui est resté dans son bus ? C’était le matin avant de partir en voyage vers le sud du pays. Nous attendions dans notre bus (minibus Toyota qui serait limité à douze places au Québec mais qui n’embarque jamais moins de 19 personnes au Tchad) pendant que le chauffeur finissait d’arranger les bagages sur le toit. Avec la caméra vidéo, j’ai filmé un peu l’ambiance du départ et de la rue, en restant assis à l’avant. Au visionnement, après transfert du film sur l’ordinateur, j’ai fait quelques captures d’écran dont celle-ci, espérant vous donner une petite idée de l’atmosphère. Qui sait ce qui se cache derrière le tapis suspendu ?

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Tout heureux de porter mon nouveau cadamoul blanc, je demande à un ami scout de prendre une photo de moi, que je pourrai envoyer à mes amis au loin. Mise en scène, donc, mais d’une scène en tous points semblables à mon quotidien là-bas. Est-elle moins vraie pour autant ? Les gens conscients de se faire photographier ne se mettent-ils pas toujours en scène ?


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Commentaires

9 réponses à “À l’image du Tchad”

  1. Frère Ours

    Ici et maintenant

    Bonjour Moîse!

    Merci de me faire si joliment voyager. La photo du petit garçon et le tit woiso est vraiment touchante!

    Bonne continuité… Frère Ours

  2. Salut Moïse! Tu rentres vraiment habillé comme cela! Un petit bonjour de l´équateur de ma part!

    A bientot!

    Dave

  3. De Sylvain

    Salut mon ami!

    Un mot rapide,
    Car cette nuit,
    Je n’ai point dormi et,
    Je suis un peu livide…

    Mais de te voir assis,
    Ainsi,
    Me fait réfléchir,
    Me fait sourire.

    J’ai hâte de te revoir,

    Sylvain

  4. Alexandre

    Image 4 Maman Médard

    Ce qu’elle cache : Toute l’importance qui se révèle malgré la simplicité du décor et de l’attirail… Derrière ce poste de firewoman se cache le rôle rassembleur d’une mère qui nourrit toute une famille… Je ne serais même pas surpris que la famille s’étende à ses frères, ses soeurs, ses voisins ou d’autres visiteurs.

  5. Charlène

    1-l’image fixe
    3-l’image témoin
    4-l’image portrait
    5-l’image capture
    6-l’image intime
    7-l’image anonyme
    8-l’image en retour

    Moïse, tu piques vraiment ma curiosité… quand je regarde les gens que tu rencontre à travers tes photos, j’ai envie de leur parler, de les entendre, de les sentir! Voir est un verbe tellement incomplet!

    Au plaisir de te relire!

  6. Gabriel Marcoux-Chabot

    Chacun d’entre nous fait de terribles efforts pour essayer de donner un sens au monde qui l’entoure. Parfois, les réflexions d’un anthropologue peuvent nous aider à trouver une certaine cohérence. Mais quand l’anthropologue est trop fatigué pour écrire un texte savamment instructif ou qu’il préfère se goinfrer de mangues fraîches au lieu de faire son travail, nous sommes laissés à nous-même pour l’interprétation. Est-ce vraiment une bonne idée?

    Image 1

    L’anthropologue compose un joli tableau à partir des objets qui lui semble représentatifs de son travail. Soigneusement préparé, cet arrangement n’a duré que le temps d’un cliché.

    Image 2

    L’anthropologue tend un piège au spectateur et tente de lui faire croire qu’il y a une image alors qu’il n’y en a pas.

    Image 3

    Un brave cultivateur menace du doigt l’anthropologue qui lui a volé une poule.

    Image 4

    La maman Médard, lasse d’attendre que l’anthropologue ait enfin réussi à prendre une bonne photo.

    Image 5

    Tam-tam Jam sur le Mont-Royal.

    Image 6

    Le doyen du village présente l’animal que l’anthropologue doit égorger afin de démontrer sa virilité.

    Image 7

    Kirikou doit affronter la méchante sorcière et son balai avant de pouvoir franchir la « Porte aux milles fleurs ».

    Image 8

    Photo démontrant hors de tout doute que le pied de l’anthropologue est plus gros que sa tête.

  7. Tamunik!

    Moïse, tes photos parlent d’elles même et c’est un plaisir de les entendrent …!

    Elles me disent tout bas ce que je ne pourrais voir tout haut … et par dessus tout, elles nous invitent à rencontrer l’être qui les a fait naître pour qu’il nous raconte son histoire, son aventure et ses rencontres inoubliables avec des gens qui, il me semble bien, ont le coeur sur la main … On s’entoure de ceux qui nous ressemble, n’est ce pas Moussa …!

    GO Mousse Go !

  8. Moïse

    Les interprétations fantaisistes de mon grand frère sont intéressantes et soulèvent certaines questions très pertinentes. Toutefois, je tiens à lui préciser que le rapport de taille entre mon pied et ma tête est tout aussi relatif que l’état de la démocratie au Tchad: il varie selon le point de vue.

    Image 1

    La table de travail de Samuel, à Walia, éclairée par les rayons de soleil qui traversent la fenêtre. J’y ai moi-même travaillé une seule fois durant mon séjour là-bas, préférant rester assis sur le matelas ou bien dehors sur une chaise de plastique lorsque j’avais à écrire. J’aurais pu en effet arranger minutieusement chaque objet pour composer une belle nature morte, mais c’est justement leur arrangement naturel qui m’a attiré. À défaut d’électricité, c’est la lampe-tempête au pétrôle qui nous éclairait à chaque soir, à partir de 19h.

    Image 2

    Le réseau internet tend un piège à l’anthropologue et lui fait croire qu’il a transféré une image, alors que ce n’est pas le cas. Heureusement, l’anthropologue revient à la charge la semaine suivante et reprend le dessus sur la machine.

    Image 3

    Encore une fois trahi par l’informatique. L’image, aggrandie, aurait permis de voir cet homme, nul autre que le papa de Mini-Mini Médard, en plein conversation téléphonique avec son fils. Du village de Manga Dongo au Tchad jusqu’au Canada, les téléphones mobiles permettent à des parents éloignés de rester en contact. Ce matin-là, l’appel de Mini-Mini a réjoui ses proches du village, qui n’avaient pas pu lui parler depuis des années. J’espère avoir l’occasion d’approfondir la question des téléphones mobiles dans un prochain article.

    Image 4

    De retour à N’Djamena, la famille de Médard me reçoit quelque heures dans leur petite concession du quartier Amtouqui. Juste avant de repartir, la maman insiste pour être filmée en train de faire la cuisine. Ça fera de beaux souvenirs pour son fils là-bas, au Canada… C’est en effet une belle image « portrait », où l’on voit la personne de plein pied entourée des objets qui constituent son quotidien. Le pilon et le mortier pour écraser le mil qui servira à préparer la boule, les feuilles pour la sauce qui mijote sur le feu, le ganoun à l’arrière pour la cuisson au charbon… On pourrait presque croire à un arrangement longuement étudié pour une exposition ethnographique, mais c’est une photo prise sans artifices.

    Image 5

    Capture d’un moment parmi d’autres lors du camp des scouts de N’Djamena à Bongor. Pour se distraire en attendant la prochaine activité, les jeunes jouent du tam-tam et chantent des chansons, jouent à la pétanque et au foot, dorment sur des nattes et rient de bon coeur.

    Image 6

    Ce petit garçon, tout attendrissant qu’il soit avec son oiseau, aurait sans nul doute durement éprouvé votre sensibilité si vous pouviez l’avant et l’après de la photo. Ces petits oiseaux sont capturés en groupe au filet puis vendus pour quelques sous au marché, grillés à la braise ou vivants, leur patte retenue par une ficelle. Le gamin et ses amis traînaient déjà leur captif depuis un bon moment lorsqu’ils sont venus jouer près de moi et s’amuser à poser pour la caméra. Je doute que l’oiseau ait survécu longtemps… Mais attention aux jugements trop hâtifs et aux accusations de cruauté. Les rapports entre les êtres humains et les animaux ne sont pas partagés universellement. Les Tchadiens trouveraient sans doute totalement absurde que l’on cajôle un chien comme notre propre bébé, que l’on mange de la viande à tous les jours sans avoir jamais vu un animal se faire égorger et que l’on râcle sans pitié le fond des océans pour mettre du poisson en canne…

    Image 7

    Image anonyme, bien vu Charlène ! Mais qui est le plus anonyme ? Le vendeur dont moi-même je ne connais rien, ou bien le photographe qui est resté dans son bus ? C’était le matin avant de partir en voyage vers le sud du pays. Nous attendions dans notre bus (minibus Toyota qui serait limité à douze places au Québec mais qui n’embarque jamais moins de 19 personnes au Tchad) pendant que le chauffeur finissait d’arranger les bagages sur le toit. Avec la caméra vidéo, j’ai filmé un peu l’ambiance du départ et de la rue, en restant assis à l’avant. Au visionnement, après transfert du film sur l’ordinateur, j’ai fait quelques captures d’écran dont celle-ci, espérant vous donner une petite idée de l’atmosphère. Qui sait ce qui se cache derrière le tapis suspendu ?

    Image 8

    Tout heureux de porter mon nouveau cadamoul blanc, je demande à un ami scout de prendre une photo de moi, que je pourrai envoyer à mes amis au loin. Mise en scène, donc, mais d’une scène en tous points semblables à mon quotidien là-bas. Est-elle moins vraie pour autant ? Les gens conscients de se faire photographier ne se mettent-ils pas toujours en scène ?

  9. Bonjour Moïse,

    C’est toujours un grand plaisir de te lire. Tu as ce talent de nous faire resentir le temps d’une lecture le dépaysement.

    Pour cela je te remercie.