La ville de Québec s’achète un camion tactique blindé

Texte original publié le 22 octobre 2012 comme légende d’une photo Facebook. Ajout de plusieurs détails, révision et archivage ici le 10 janvier 2013.

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Le nouveau camion blindé Thunder 1 de la ville de Québec.
Photographie tirée de la fiche technique promotionnelle du véhicule[ref]Cambli International, Thunder 1 Camions blindés tactiques, http://camiontactique.com/… (PDF)[/ref].

On apprend aujourd’hui que la police de Québec s’achète un nouveau jouet au coût de 500 000$, un camion d’intervention blindé fabriqué par Cambli International (division tactique et militaire), une entreprise québécoise basée à Saint-Jean sur Richelieu. La famille Tougas, propriétaire de la compagnie, fabrique des véhicules blindés destinés au transport de devises depuis trois générations. Ce véhicule remplira toutefois de nouvelles fonctions, comme nous en informent les journalistes du Soleil dans un reportage vidéo aux allures d’une infopub:

«Le Cambli servira à protéger les policiers lors d’opérations avec des personnes barricadées, de prises d’otage, de coups de feu et de manifestations potentiellement violentes[ref]Steve Jolicoeur et Patricia Cloutier, Le Soleil, 22 octobre 2012, «Nouveau camion blindé de la police de Québec» (vidéo), http://lapresse.ca/…[/ref].»

Selon la fiche technique du Thunder 1, celui-ci offre «un large éventail d’options, ce qui permet de le personnaliser entièrement et lui confère une polyvalence exceptionnelle adaptée à tous les types de missions»[ref]Cambli International, Thunder 1 Camions blindés tactiques, http://camiontactique.com/… (PDF)[/ref]. Parmi ces options, on remarque un bélier hydraulique de 3.5 mètres de long et de 2200 kilos ainsi que 13 meurtrières permettant à des tireurs de faire feu vers l’extérieur. Le détail des options du camion acheté par Québec n’est pas encore connu du public. Curieusement, un autre exemplaire de ce même modèle de camion a été fabriqué sur mesure pour la police de York (Ontario) en mars 2011 et a coûté 340 000$, soit 160 000$ de moins[ref]Timothy Appleby, The Globe And Mail, 7 mars 2011, «York Regional Police get versatile rolling fortress», http://www.theglobeandmail.com/…[/ref].

Après York (340 000$), Vancouver (350 000$)[ref]Deputy Chief Adam Palmer, Vancouver Police Department, 7 septembre 2010, «Introduction to the VPD Armoured Rescue Vehicle» http://mediareleases.vpd.ca/…[/ref] et la police provinciale ontarienne (deux véhicules à 400 000$ chacun)[ref]Chantaie Allick, The Star, 28 septembre 2011, «OPP’s new ride: armoured rescue vehicles», http://www.thestar.com/…[/ref], Québec devient ainsi le quatrième acheteur de ce camion blindé fait chez nous, par nous, pour nous et contre nous…[ref]Wikipédia, http://en.wikipedia.org/…[/ref] En 2010, c’est la ville d’Ottawa qui s’était équipée d’un véhicule blindé léger aussi au coût de 341 000$, le G3 BearCat, celui-ci fabriqué par Lenco Industries, une compagnie du Massachussets[ref]CBC News, 24 mars 2010, «Ottawa police add armoured truck», http://www.cbc.ca/…[/ref].

C’est la tendance pan-canadienne pour les services de police municipaux de s’équiper de véhicules blindés légers ou Tactical Armored Vehicles (TAV). Les Forces Armées Canadiennes ont d’ailleurs mis en place récemment un programme appelé «Cougars For Cops», par lequel elles transfèrent gratuitement leurs vieux blindés de type Cougar à des corps de police, dont la GRC en Colombie-Britannique. Quand elles ne servent pas à combattre le crime, ces grosses bêtes de métal peuvent ainsi être paradées en ville pour habituer les policiers et les citoyens à la présence de véhicules militaires dans l’environnement urbain:

«La GRC prévoit déployer régulièrement les TAVs afin de sensibiliser le public et de permettre aux officiers d’expérimenter leur opération en milieu urbain.[ref]CBC News, 24 mars 2010, «Armoured vehicles adopted by B.C. RCMP», http://www.cbc.ca/…[/ref].»

Évidemment, lorsque des compagnies canadiennes héritent de lucratifs contrats afin de fournir des centaines de nouveaux camions blindés à l’armée, celle-ci doit bien se débarrasser de ses ferrailles devenues inutiles…

«Une compagnie d’Ottawa a hérité d’un contrat de 1.25 milliards $ pour le remplacement de la flotte de véhicules de patrouille blindés de l’armée, ont annoncé vendredi des fonctionnaires fédéraux depuis une base militaire du Nouveau-Brunswick. Textron Systems Canada Inc a remporté l’appel d’offres du gouvernement canadien pour fournir 500 de ses Véhicules Tactiques Blindés de Patrouille, avec l’option d’augmenter la commande à 600 unités[ref]CBC News, 8 juin 2012, «Ottawa company lands $1.25B armoured vehicle contract», [/ref].»

Mais la GRC a aussi reçu en 2012 une nouvelle flotte de 18 véhicules du genre, flambants neufs, vendus par l’entreprise Navistar Defense Canada Inc, filiale de l’américaine Navistar International Corp. D’une valeur de 14 millions US$ (778 000 US$ l’unité), ce contrat est le premier de la firme à être complété pour un corps de police, les précédentes ventes ayant été destinées au secteur militaire, notamment pour soutenir les efforts de guerre en Irak et en Afghanistan[ref]Courtney Symons, Ottawa Business Journal, 24 juillet 2012, «Navistar completes $14M RCMP contract», http://www.obj.ca/…[/ref].

Même le service de police de l’Université de Berkeley en Californie, qui a une histoire de répression des manifestations étudiantes particulièrement lourde, a obtenu récemment un prêt de 200 000$ du gouvernement américain pour l’aider à acheter un camion tactique[ref]Tyler Kingkade, Huffington Post, 25 juin 2012, «University Of California Police Seeking Funding For Armored Vehicle, Despite Opposition», http://www.huffingtonpost.com/…[/ref]:

«Le lieutenant Eric Tejada, du Service de Police de l’Université de Californie, a déclaré que l’université prévoit utiliser le véhicule […] dans des situations dangereuses pouvant impliquer des armes lourdes. Tejada a aussi mentionné n’être au fait d’aucun incident dans les 144 années d’histoire de l’institution lors duquel un tel véhicule aurait pu sauver une vie, bien que le service de police aurait apprécié pouvoir en déployer un l’année dernière, lorsque qu’ils ont cru par erreur qu’un homme était en possession d’un fusil d’assaut AK-47 sur le campus[ref]Josiah Ryan, Campus Reform blog, 29 juin 2012, «UC Berkeley to use federal funds to purchase $200,000 ‘armed personnel carrier’», http://www.campusreform.or/…[/ref].»

À travers ces quelques exemples, il est déjà possible d’entrevoir la trame du complexe militaro-industriel, cet ensemble de relations et d’influences entre l’industrie de l’armement, les forces armées et les décideurs publics[ref]Christopher Ball, George Mason University’s History News Network, 30 août 2002, «What Is the Military-Industrial Complex?», http://hnn.us/…[/ref]. En exploitant la notion de menace intérieure, l’industrie de l’armement, domaine lucratif s’il en est un, se développe de plus en plus en visant les services de police comme clients potentiels. Elle contribue et encourage par le fait même la militarisation croissante de ceux-ci. Il faudrait beaucoup de mauvaise foi pour refuser d’admettre que les premiers à profiter de la vente des véhicules tactiques blindés sont les compagnies fabriquant ces véhicules ainsi que leurs actionnaires. Capitaliser sur la peur et la sécurité en vendant des équipements surévalués au secteur public est une tactique commerciale blindée.

D’ailleurs, Philippe Marcotte, représentant des ventes et directeur du développement des affaires pour Cambli International, était présent à la conférence annuelle de l’Association canadienne des chefs de police en août 2011 pour faire la démonstration du Thunder 1. Vantant le camion de son entreprise, décrit par le Windsor Star comme le produit-vedette de l’événement, il a alors déclaré:

«C’est le meilleur que vous pouvez acheter […] Je suis certain que vous allez en voir de plus en plus au Canada d’ici quelques années. À peu près toutes les unités tactiques ont besoin d’un tel véhicule[ref]Dave Battagello, The Windsor Star, 24 août 2011, «Law enforcement gadgets on display», http://www2.canada.com/…[/ref].»

Après l’achat réalisé par Québec, la Ville de Montréal devient l’une des dernières grandes villes canadiennes à ne pas posséder de véhicule blindé d’intervention. Gageons que ça ne saura tarder…

Mises à jour

26 avril 2013: Selon La Presse, la ville de Montréal fera bientôt l’acquisition d’un camion tactique Thunder 1 de Cambli[ref]Annabelle Blais, La Presse, 26 avril 2013, «Montréal va s’acheter un camion d’intervention blindé», http://lapresse.ca/…[/ref].

5 juin 2013: L’achat pour le SPVM du démonstrateur Thunder 1 au coût de 364 000$ a été entériné par le Comité exécutif de la Ville de Montréal.

6 novembre 2013: Le SPVM a présenté son camion Thunder 1 aux médias. Un article de Mathias Maréchal couvrant l’annonce pour le Journal Métro fait référence à ce texte.

Pour explorer davantage ce sujet

Le rôle du Canada dans l’industrie de la guerre et de la «sécurité intérieure» a été abordé de front dans Myths for Profit, un documentaire d’Amy Miller.

La militarisation croissante des départements de police est quant à elle bien expliquée dans une enquête liée aux subventions du Department of Homeland Defense des États-Unis.


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