La police (Pierre Bourgault, juillet 1970)

Extraits choisis pour leur pertinence du texte «La police» de Pierre Bourgault, paru dans Point de mire en juillet 1970. Tiré de Écrits Polémiques 1960-1981 (1. La politique), VLB, pages 176 à 182. Texte publié comme article Facebook le 8 juin 2012 puis archivé ici le 10 juin 2013.

«Si la police d’un pays doit et peut être un élément de sécurité et de protection pour les citoyens, il serait par contre intolérable qu’elle en vienne à appliquer la justice elle-même ou qu’elle se permette d’intervenir dans l’ordre idéologique des choses. C’est pourtant ce qui menace de se produire si l’État n’adopte pas immédiatement envers ses corps policiers une attitude très ferme.»

«Mais l’État a peur. Peur de se retrouver demain sans machine de répression pour se protéger lui-même. Alors l’État se tait, ou cède au chantage, selon le cas. Par ce biais de la peur, la police en vient à protéger un régime plus que les citoyens eux-mêmes. C’est l’engrenage. Cela peut mener très loin.»

«L’adulte se sent impuissant devant le phénomène jeunesse. Le policier aussi sans doute, mais il a les moyens, lui, d’opérer le transfert de son impuissance: alors il dénonce, il juge, il arrête, il condamne, il frappe, il harcèle, il insulte. Il se sert de sa force, de ses armes, de son autorité et de celle de la loi (même quand il la viole lui-même) pour forcer les jeunes à parler son langage à lui, le langage de tous les adultes.»

«Ne voit-on pas de plus en plus de jeunes se faire «embarquer» pour être détenus pendant quelques heures, puis relâchés sans qu’on porte contre eux quelque accusation que ce soit ? Il s’agit de les impressionner, de leur faire peur, n’est-ce pas ?»

«Pour ma part, j’entends chaque mois des douzaines de témoignages qui me sont fournis par des personnes de tous milieux et de tous âges, qui tendent à prouver qu’on provoque ceux qu’on arrête, qu’on les bat inutilement, qu’on les insulte, qu’on les ridiculise à souhait. Pourquoi ? Seul l’État pourrait mettre fin à ces pratiques abusives. Mais qui protègera le régime si le régime ose affronter les policiers ?»

«Le policier n’a pas de responsabilité véritable, il obéit à des ordres. À la longue, rien n’est plus néfaste. J’ai personnellement rencontré nombre de policiers (pas nécessairement dans les conditions les plus favorables) parfaitement conscients des sottises qu’on leur fait dire ou de la stupidité des gestes qu’on leur fait poser. Mais où et avec qui peuvent-ils en discuter ? Comment peuvent-ils influencer les décisions de leurs officiers supérieurs ? Ils ne disposent d’aucun moyen pour le faire. Alors ils démissionnent ou bien ils se taisent et «font comme les autres».»

«Le policier n’a souvent pas les moyens de combattre le véritable ennemi de la société, le bandit et, plus singulièrement, le membre de la pègre ou de la mafia. Très souvent, le policier sait qui il faudrait arrêter, pourquoi et comment. Mais il connait aussi les complicités politiques ou policières qui protègent tel ou tel individu. Il ne peut pas agir. Frustré dans sa conscience même, il finira par arrêter n’importe qui pour n’importe quoi. Les vrais coupables étant hors d’atteinte, il en vient à s’en fabriquer lui-même.»

«Le policier est jugé très sévèrement par ses collègues. C’est pourtant une attitude inutile. Il semble y avoir une certaine manière d’agir à laquelle il doit se conformer, sans quoi… J’ai vu moi-même nombre de policiers parfaitement civilisés, humains, justes, alors qu’ils agissaient seuls, se transformer soudain en insulteurs et en «tapocheurs» aussitôt que d’autres policiers étaient présents.»

«Le policier n’est pas politisé, dans le sens le plus large du mot. Pourquoi les policiers ne pourraient-ils pas critiquer les lois ? Ils connaissent mieux que quiconque les lois désuètes ou inapplicables ou simplement stupides. On les force quand même à les appliquer. Lorsqu’ils le font, on les couvre de ridicule alors même que ce sont les législateurs qui sont en faute.»

«Comme le dit M. Michel Chartrand, il est bien inutile de s’en prendre aux policiers eux-mêmes. Ils sont souvent victimes des mêmes exploiteurs que nous, ils ont les mêmes peurs, les mêmes frustrations. C’est tout le système qui est en cause et nous sommes finalement tous dans le même combat.»

«Notre véritable ennemi est bien plus haut et bien plus puissant. Le policier lui sert d’instrument. Il est bien inutile de briser l’instrument si nous ne brisons pas le bras qui le brandit. Lorsque le policier cessera de servir d’instrument à une poignée d’exploiteurs, alors il sera libre. C’est la liberté de chacun qui, additionnée, fait la liberté de tous.»


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