Basta !

L’an dernier, pour le spectacle de fin d’année des étudiants et étudiantes en anthropologie, j’avais récité un medley de deux chansons de Léo Ferré, accompagné par mon ami Stéphane Eduardo Longtin au didgeridoo et percussions.

Cette année, pour la nouvelle édition du même spectacle, qui se déroulait cette fois au bar l’AgitéE, je suis allé plus loin. J’ai assemblé un texte constitué de dizaines d’extraits de chansons de Léo Ferré, mais aussi d’extraits d’autres textes et de citations diverses. J’ai transformé certains des extraits, j’en ai traduit, je les ai découpé, réassemblé, modifié, désordonné. J’ai introduit des phrases de moi dans le lot.

Le texte final est à la fois un hommage à Léo Ferré, récité avec son style, et un témoignage personnel des éléments les plus marquants de ma dernière année, accompagné par Stéphane Eduardo à la guitare. C’est aussi et surtout un appel à se libérer des oppressions que nous nous imposons nous-mêmes.

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Basta !
(Moïse Marcoux-Chabot et Stéphane Eduardo Longtin)

Les zones autonomes temporaires ne me suffisent pas.
Je déclare ma tête zone autonome permanente.

J’émigrerai bientôt vers un pays caché.
Et ne reviendrai plus.

Ni dieu, ni maître, ni rien, ni moi, ni eux ET BASTA!

Je vivais dans une sorte de malédiction confortable.
Je m’étais arrangé pour ne rien laisser paraître jamais ni de mes angoisses, ni de mes envies, ni même de mes voeux les plus secrets.
Je vivais masqué.
Je vivais coincé.
Le grand drame des solitaires c’est qu’ils s’arrangent toujours pour ne pas être seuls.

Ma solitude est ouverte aux tendresses.

Je connais des formules apprises par coeur.
Elles m’inspirent et m’apeurent.

Ni dieu, ni maître, ni femme, ni amis, ni rien, ni moi, ni eux ET BASTA !

Filmer des êtres humains, peut-être…
Filmer des êtres humains en vie, c’est résister, c’est révolutionnaire.
Tu veux voir ce que je vais filmer ?

Viens avec moi, viens, je te ferai visiter un pays que tu ne connais pas, que personne ne connaît…
C’est un pays fantastique, un pays merveilleux, imaginé, mis en images.
Allez, viens.

C’est facile pour moi de te dire viens, moi, demain, je m’en vais, de toutes façons.
On dit aux gens, allez, viens, mais au fond, on s’en fout.
Mais là, y a peut-être un moyen…
J’suis pas sûr mais j’t’apprendrai.
Y a p’t’être un moyen, pour que tu viennes, avec moi, dans un pays fantastique, méconnu.
Il est connu… actuellement… par moi, comme ça.
Je le dis pas, je le dis qu’aux gens qui viennent à l’AgitéE, pour m’écouter.

Ceux qu’on a jugé criminels, qui sont dans les prisons des hommes, ils savent qu’ils sont en prison. Et puis, ils savent qu’ils peuvent cracher mentalement à la gueule de ceux qui les y ont mis et qui les y maintiennent. Mais les autres, les citoyens, ils savent pas. Ils y pensent pas. Ils souffrent, sans savoir qu’ils sont en prison. Ils se rendent pas compte.

En ce moment, quelque part, une employé d’épicerie emballe des légumes génétiquement modifiés au lieu de sarcler le jardin dans sa propre cour.
Un cuisinier se saoule après avoir préparé des tables d’hôte pour 100 clients au lieu de cuisiner avec ses colocataires.
Une étudiante en anthropologie transcrit ses entrevues avec des squatteurs au lieu de participer elle-même à des actions militantes.
Un coordonnateur d’association, fatigué de sa journée de travail, écoute un mauvais film d’action pour avoir à réfléchir le moins possible.
Un homme qui pourrait être en train d’explorer sa sexualité avec une partenaire se masturbe devant un vidéo porno, sur internet.
Un supposé révolutionnaire recherche, toujours sur internet, les nouvelles des soulèvements sociaux dont il rêve.

Et basta…

Plus nous investissons de l’énergie à essayer de survivre dans les termes du système, plus il devient difficile de vivre en son dehors.

Et… si tu décrochais ?

Nous pouvons tous, chacun de nous, refuser les rôles qui nous sont imposés.
Décrocher signifie refuser de dire la réplique que l’on attend de nous, nous extraire de ce qui nous angoisse et réclamer la mainmise sur nos vies.
Si vous êtes étudiant, cela signifie rejeter les techniques de contrôle et de pouvoir de l’instruction institutionalisée, en faveur de l’éducation autonome.
Si vous êtes amoureux, cela signifie refuser les attentes et les obligations de la romance conventionnelle.
Si vous créez, cela signifie vous approprier les moyens de création et de diffusion et les utiliser en dehors de la logique capitaliste.
Si vous consommez, cela signifie acheter moins, réduire vos besoins, manger les déchets des autres…
Tout cela implique de ne pas plus accepter le rôle qu’on vous prescrit que d’imposer un tel rôle aux autres.

Et si vous avez déjà décroché, cela signifie trouver des façons de vous connecter à nouveau aux autres, en vos propres termes.

Voilà.

J’ai déjà dit « Il n’y a plus rien ».

Le réveil sonne, première humiliation de la journée.
C’est fantastique, les hommes mesurent le temps.
La seconde. 1, 2, 3.
Le 1/10 de seconde. 1.
Le 1/100 de seconde. 1.
La semaine de cinq jours. Bah…

Ni dieu, ni maitre, ni seconde, ni jour, ni mi-session, ni délais, ET BASTA !

Maintenant, je dis « Tout est possible. »

Allez, viens. Je te propose autre chose. La semaine de toujours.
Lundi, ce sera le jour de l’amour.
Mardi, l’anarchie.
Mercredi, le sourire.
Jeudi, la paix.
Vendredi, la tendresse, pas trop, parce que c’est souvent compliqué.
Samedi on dort.
Et dimanche, c’est comme tu veux.

Si.. si tu en as assez de subir les exclusions physiques et morales de gens qui reviennent ensuite te faire pleurer, parce que les histoires d’amour font pleurer, aussi…
Si tu rêves qu’on cesse de s’inventer de fausses relations de dépendances
parce qu’on a peur de notre solitude inextricable… Alors, viens avec moi, viens !
Et au passage, lèche l’oreille des couples qui s’embrassent.

Ici, on est fidèles, parce que c’est l’usage. C’est tout.
Mais… là-bas.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et… volupté… volupté…

La poésie sera totale. Ou ne sera pas.

Il importe que le mot amour soit rempli de mystère et non de tabou, de péché, de jalousie, de possession.
JE PROVOQUE À L’AMOUR ET À L’INSURRECTION !
YES ! I AM UN IMMENSE PROVOCATEUR !
Je vous l’ai dit.
Des armes et des mots c’est pareil.
Ca tue pareil.
Il faut tuer l’intelligence des mots anciens.
Avec des mots tout relatifs, courbes comme tu voudras.

N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres.

Pris dans la laisse des autres, nous sommes des chiens. Et les chiens quand ils sentent leur heure venue, ils se dérangent. Ils se décolliérisent. Et posent leur os aux pieds du maître, qui ne comprend pas.

Je ne chante pas comme Ferré.
Je ne danse pas comme un esclave libéré.
Je ne slamme pas comme un révolté.

Je cause et je gueule comme un chien.

Les plus beaux chants sont les chants de revendications
Le vers doit jouir dans la tête des gens.
À l’école de la poésie, on n’apprend pas.
ON SE BAT!
ET BASTA !

Quand tu rentres chez toi, je parle à chacun de vous, quand tu rentres chez toi, après l’Anthr’acte, ne prends pas des habitudes…
Avant de faire la révolution dans la rue, il faut la faire dans sa tête. C’est pour ça qu’on la fait pas dans la rue.
Et n’oublie pas ce que je t’ai dit, ce que je vais te dire.
Tous les jours. Tous les jours. Tous les jours. Au-dedans de toi. En parlant à n’importe qui, même à quelqu’un avec qui tu dois développer des phrasiologies à la con, sous prétexte qu’ils ont des machins, des cravates… Dis-toi bien une chose, mais dis-toi le toujours, toujours, à toi tout seul, dis-toi bien que le pouvoir, d’où qu’il vienne, C’EST VRAIMENT DÉGUEULASSE.

J’suis r’venu en courant parce que j’allais oublier de vous dire quelque chose. Dans ce pays là-bas, y a pas de chef.
Y’a pas d’sous-chef.
Y a pas de quart de chef.
Y’A PAS DE HUITIÈME DE CHEF !
PARCE QUE LE HUITIÈME DE CHEF, C’EST ENCORE LE POUVOIR DE LA MERDE !
ET Y EN A MARRE, DU POUVOIR DE LA MERDE !


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Commentaires

5 réponses à “Basta !”

  1. L Prevost

    Yes !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

  2. Mathieu Gagnon

    Wow! Ça rentre au poste…Wow!

  3. Moreau Bernard

    Merci de nous avoir fait partager ce texte durant cette soirée de l’Agora Jeunes Citoyen du Monde!!!

  4. aksouh mohand

    magnifique mon chére ami moïse, je te souhaite une bonne continuation, et aussi un trés grand merci de nous avoir fait partagé cela durant la rencontre a louvaine la neuve 😀 au plaizir de te revoir

  5. Laura

    Moise,
    Ton texte est magnifique. il a touché la fibre la plus intime de mon coeur. Merci de le partager. J’en ai sincèrement la chair de poule… Et oui, l’anarchie c’est avant tout l’amour.. mais pas l’amour romantique conventionnel.. C’est l’amour universel, le ressentir, le partage. Ca peut sonner njan njan mais je le sens très proffondément. C’est l’amour qui ne possède pas, qui n’attend rien de l’autre, qui n’attend pas de se fondre dans un rôle, c’est ce fondre avec l’exthase du moment présent. C’est l’amour vrai, celui qui ne connais pas le hier ou le demain. Car dans le fond, ça n’existe pas.. ce ne sont que des catégories que la société a inventé pour posseder ce qui lui échape le plus… le temps. posseder posseder et s’aliéner de tout puafff

    J’espère jaser de tout ça de vive voix autour d’un verre Mo 🙂

    Amicalement,

    Laura