Autour d’une souricière (manif du 5 avril)

Une version avec sous-titres français et anglais est aussi disponible.

5 avril 2013. En réaction à la répression de plusieurs manifestations récentes, un rassemblement s’organise contre le règlement P-6 de la ville de Montréal et pour revendiquer le droit de manifester. Les quelques centaines de personnes qui se réunissent à la Place Émilie-Gamelin sont encerclées par un important dispositif policier dès leur arrivée. Sur la base du règlement P-6, le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) annonce qu’il considère la manifestation «illégale», qu’aucun acte criminel ne sera toléré et que, le cas échéant, les manifestants et manifestantes recevront un avis avant que ne soient entreprises des manœuvres de dispersion.

Après une trentaine de minutes, le groupe prend la rue et tourne en rond autour du Parc Émilie-Gamelin, la seule voie qui n’est pas bloquée par un barrage policier ayant tout l’air d’un piège destiné à faciliter l’encerclement. Mais le SPVM semble bien décidé à appliquer unilatéralement le règlement P-6, une fois de plus, et charge le groupe après quelques minutes. Sans avis de dispersion préalable, la majorité des personnes présentes se trouvent coincées dans une souricière, poussettes et bébés compris. Les marcheurs et marcheuses ainsi arrêtés et détenus (ou interpellés, selon les relationnistes policiers) seront relâchés quelques heures plus tard, une contravention de 637$ en mains.

Autour de cette souricière, le manège habituel se reproduit. Les journalistes qui n’ont pas été eux-mêmes pris dans l’arrestation de masse sont confinés à un «enclos» d’où ils pourront exercer leur liberté de presse, sous la surveillance d’agents du groupe d’intervention. Des groupes de patrouilleurs de quartier ramènent des gens vers la souricière ou les repoussent plus loin, de façon arbitraire et suivant des lignes imaginaires à ne pas franchir, qui se dissipent dès qu’ils portent leur attention ailleurs. Ce soir, les policiers ne crient pas leur «Bouge!» habituel, demandant simplement de circuler, parfois au nord, parfois au sud, parfois hors du trottoir, parfois hors du gazon. Aucun crime n’est commis, hormis celui de brimer la liberté d’association et d’expression.

Autour de cette souricière, les policiers prennent un café, flirtent, se racontent des histoires. Ils rigolent et se demandent quand ils prévoient repartir en voyage. Ils comptent les liasses de contraventions: 279 selon le bilan final. Peu importe qu’elles soient contestées, vides de sens, illégitimes… Il y a des policiers qui donnent des ordres et d’autres qui obéissent.

Autour de cette souricière, il y a des passants, des arrêtés libérés et des gens libres à arrêter. Un système de traitement des détenus se met en place. Des autobus de la STM sont reconvertis en guichets multiples, où les prévenus vont à tour de rôle s’identifier et recevoir leur ticket, comme on irait commander une frite à la roulotte à patates du coin. D’une efficacité inquiétante.

Autour de cette souricière, il y a un indic qui rôde et se fait remarquer. Sylvain, informateur civil, souvent pris pour un policier infiltré. Il fréquente les manifs montréalaises depuis des années, désireux de dénoncer aux policiers tout méfait dont il serait témoin et prêt à témoigner en cour contre les militants et militantes arrêtées.

Autour de cette souricière, il y a des policiers qui se cachent, d’autres qui tiennent la ligne sans dire un mot, certains qui fanfaronnent et quelques uns, plus rares, qui discutent sans jamais trop se compromettre.

Autour de cette souricière, il y a des voix du passé qui font écho à la situation présente: Foucault, Chartrand et Miron…

Autour de cette souricière, il y a moi et ma caméra.

Sources des extraits audios

– Michel Foucault sur la police et la justice, 1977, extrait du documentaire Michel Foucault par lui-même.
– Michel Foucault sur les contre-conduites, audio des cours donnés au Collège de France, Série «Sécurité, territoire, population», cours du 5 avril 1978.
– Michel Chartrand sur l’obéissance, 1969, extrait du documentaire Chartrand le malcommode de Manuel Foglia.
– Michel Chartrand à sa sortie de prison, 16 février 1971, Radio-Canada.
L’octobre (1956, 1970), poème de Gaston Miron, extrait lu par Luc Picard jouant Francis Simard dans le film Octobre de Pierre Falardeau (1994).

Notes

Ces images peuvent être réutilisées avec mention du crédit par des individus, groupes, associations ou organismes à but non lucratif. Toute autre reproduction (en particulier commerciale) est interdite sans autorisation explicite.

Images et montage:
Moïse Marcoux-Chabot
info@moisemarcouxchabot.com

Productions Ceci n’est pas un film, 6 avril 2013

Mises à jour

7 avril 2013: Le film a été vu 5000 fois en 24 heures. Merci !
7 avril 2013: Translate the printemps érable a publié une traduction anglaise de mon texte d’accompagnement et des extraits audio.
13 avril 2013: J’ai mis en ligne une version Youtube avec sous-titres français et anglais.
13 avril 2013: Le film est utilisé comme vidéo d’accompagnement pour la campagne de levée de fonds d’Anarchopanda PANDACTI0N CONTRE P-6.


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