À force d’imagination (Remix de pastiches détournés)

Une version légèrement différente de ce texte ainsi que plusieurs images l’accompagnant ont été publiées dans l’essai graphique À force d’imagination: affiches et artéfacts du mouvement étudiant 1958-2013, lancé le 10 octobre 2013 par Lux Éditeur, dans la section «Témoignages d’artistes».

«Avec plus de 400 affiches et artéfacts archivés au fil des ans et des luttes qui ont animé le Québec en 2012, À force d’imagination propose un véritable voyage au cœur de l’iconographie du syndicalisme étudiant québécois, depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui, en passant par la naissance du célèbre «carré rouge».

Cet ouvrage d’un genre nouveau au Québec, celui de l’essai graphique, constitue une mémoire collective des mobilisations étudiantes et citoyennes pour l’accès à l’éducation, en tant que droit démocratique et projet d’émancipation sociale. Il offre aussi des témoignages d’artistes et des outils imaginatifs à ceux et celles qui rêvent toujours de changer le monde pour le bien commun.

Avec des textes de Jean-Pierre Boyer, Jasmin Cormier, Jean Desjardins, Francis Dupuis-Déri, Jaouad Laaroussi, Vivian Labrie, Camille Robert, Arnaud Theurillat-Cloutier et David Widgington.»
– Texte de présentation de l’ouvrage

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Couverture du livre réalisée par Alain Reno. Photo Moïse Marcoux-Chabot.

Remix de pastiches détournés

Notre passé est plein de devenirs.
– Asger Jorn

La veille du 22 mars 2012, je créais mes premières affiches de la grève, deux contributions cinémato-graphiques au mouvement s’inspirant des posters de 28 jours plus tard et 28 semaines plus tard, de Danny Boyle.

Passant du registre des zombies à celui de la grève, le 28 est devenu «1625 / 1778 dollars plus tard». Les yeux d’outre-tombe ont été remplacés par ceux d’un survivant (Francis Grenier) et les morts-vivants se sont levés, manifestant vers l’Assemblée nationale. La grève générale devenait ainsi une épidémie virale d’actions politiques.

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«1778 dollars plus tard»
Détournement d’une affiche du film 28 jours plus tard, de Danny Boyle.
Mars 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook en version 1625 et 1778.

Mais il fallait surveiller les policiers, car «la violence sera utilisée pour protéger la hausse». Nous étions au tout début de la grève. Je ne me doutais pas que sa durée dépasserait le calendrier du film, que les armes des policiers allaient passer à trois cheveux de tuer et que le cop-watch deviendrait un réflexe de survie. Le slogan original était «Deadly force will be used to protect this area.»

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«Surveillez les policiers, la violence sera utilisée pour protéger la hausse »
Détournement d’une affiche du film 28 semaines plus tard, de Danny Boyle.
Mars 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook.

L’idée m’étant venue avec le souvenir de «la chute» de Charest en 2005, j’y ai inscrit des génériques semblables, sous la direction de Studens Padkash. Dix copies de chaque affiche ont été imprimées. Sinon, comme pour toutes mes autres créations visuelles, c’est surtout à travers le web qu’elles ont vécu.

Je faisais usage du détournement, dans la lignée de l’Internationale Situationniste de Guy Debord, Raoul Vaneigem et Asger Jorn. Alors qu’eux mêmes avaient nourri de leurs images, de leurs slogans et de leurs actions la révolte de 1968, je suis allé piger dans leur répertoire pour inspirer et représenter le mouvement de 2012.

«Sois jeune et tais-toi» est passé de la bouche de De Gaulle à celle de Charest, en piquant au passage son profil frisé dans une caricature de Garnotte. L’affiche originale détournait elle-même le titre du film Sois belle et tais-toi de 1958. Sous d’autres mains, Harper et Sarkozy ont aussi eu droit à une modernisation semblable.

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«Sois jeune et tais-toi »
Pastiche d’une affiche anonyme de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, mai 1968.
Mars 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook en affiche et bannière.

Je trouvais symbolique de raviver ces icônes et important de le faire en haute résolution, puisque c’est sur la toile que je m’engage et non sur le canevas. «Se soumettre ou résister et vaincre» a la même force évocatrice aujourd’hui qu’hier, mais sa version web était minuscule. Je l’ai donc refaite presque à l’identique, plus détaillée. La première version ne voulait que vaincre le capitalisme, une ambition trop limitée à mon sens. La lutte est plus vaste.

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«Se soumettre ou résister et vaincre »
Reprise d’une affiche anonyme de l’École des Beaux-Arts de Toulouse, mai 1968.
Avril 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook.

L’œil droit sanglant, crevé par le discernement armé, l’œil gauche pleurant des larmes de rage et de gaz, la résistance collective maintenant le regard plongé dans l’avenir, vers l’espoir d’une victoire collectives, malgré les douleurs individuelles… Rien n’a changé, au fond.

***

J’ai aussi détourné des bandes dessinées, des affiches de la Société des Transports de Montréal, une canne de sirop d’érable au carré rouge si tentant, des couvertures de journaux et même un graffiti déjà retourné sur lui-même. Anarchopanda, qui contourne la violence institutionnelle par des câlins très personnels, et le manifestant masqué armé d’un bouquet molotov se sont ainsi unis.

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«Chaque manif compte pour la lutte»
Parodie d’une campagne de la Société de transport de Montréal (STM), printemps 2012.
28 avril 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook

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«Printemps érable»
Détournement du graphisme d’une canne de sirop d’érable, printemps 2012.
2 mai 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook

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«La faute à Charest?»
Fausse page couverture du Journal de Montréal, imitant leur médiocrité habituelle.
24 mars 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook

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«Sondage Pratte/Desmarais – Les québécois: poissons à foison»
Parodie d’une page couverture du journal La Presse, 19 mai 2012.
19 mai 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook

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«Panda-Banksy»
Remix d’un graffiti de Banksy et du costume d’Anarchopanda.
Mai 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook).

Presque un an plus tard, j’ai parodié mon propre «Panda-Banksy» avec le style «Ian Lafrenière menacé de mort».

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«Panda-Banksy-Lafrenière»
Faux graffiti photoshoppé sur le vrai mur du graffiti anonyme de Ian Lafrenière.
14 avril 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook.

Tout est un remix. Même cette phrase. Rien ne se crée, rien ne se perd, sauf si on l’oublie. Tout reprend forme. Les vieux dictons, les slogans et les poèmes qu’on croyait disparus y compris.

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«Panda-Banksy, de 2D à 3D»
Silhouette du Panda-Banksy accueillant les visiteurs au lancement du livre «À force d’imagination».
10 octobre 2013, photo André Querry.

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Mon frère Gabriel s’est inspiré de l’initiative du panda montréalais pour imaginer son propre révolté costumé à Québec. Pour créer l’image de son personnage Banane Rebelle, il a fallu puiser dans le visuel de la propagande soviétique, l’imaginaire du barbudo cubain et deux ou trois degrés d’humour québécois. «Il faut sortir de ce régime pourri», souhaitait le fruit dès sa naissance.

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«Banane Rebelle!»
Recto de la pancarte de Banane Rebelle lors de sa première sortie en public.
22 mai 2012, graphisme Moïse Marcoux-Chabot.

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«Il faut sortir de ce régime pourri.»
Verso de la pancarte de Banane Rebelle lors de sa première sortie en public.
22 mai 2012, graphisme Moïse Marcoux-Chabot.

«Le bras armé de la révolution» était une banane dissidente dans l’oreille d’un premier ministre méprisant. Par ses arrestations involontaires et visuellement ridicules, le manifestant jaune et barbu de Québec est devenu un symbole médiatique. Même après son départ de la vie publique, le personnage de mon écrivain, illustrateur et marionnettiste de frère est demeuré un bonhomme dessiné que les caricaturistes font parler et agir.

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«Banane Rebelle, révolutionnaire fruité.»
Le héros armé, lors de la première sortie à Montréal.
22 mai 2012, photo Moïse Marcoux-Chabot.

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«Banane Rebelle, Le bras armé de la révolution»
Affiche à tendance propagandiste soviétique, réalisée après sa première arrestation.
25 mai 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook

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«Banane Rebelle/John James Charest – Un duel à finir»
Affiche inspirée partiellement des posters classiques de films western.
13 juin 2012, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook

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Défection de Banane Rebelle à l’annonce de la défaite de Jean Charest.
Photo Moïse Marcoux-Chabot, Montréal, 4 septembre 2012.

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Le détournement, c’est comme la révolution. En essayant de créer du nouveau, on se retrouve souvent à tourner en rond. Alors aussi bien s’inspirer du passé, le pasticher et le remixer. Au moins, si la toile de fond semble être la même, on y ajoute de nouvelles couches de couleurs, on tisse de nouveaux liens, on fait revivre des espoirs et on redécouvre que face à la violence de l’ordre répressif «la beauté, est dans la rue». Et dans les livres. Ici comme partout ailleurs.

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«La beauté est dans la rue»
Remix d’une affiche situationniste de mai 1968 et de la photo d’une femme en robe rouge poivrée par la police, devenue un symbole de la révolte turque de 2013.
Juin 2013, Moïse Marcoux-Chabot. Publication originale sur Facebook

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À force d’imagination
Affiches et artéfacts du mouvement étudiant au Québec (1958-2013)
Jean-Pierre Boyer, Jasmin Cormier, Jean Desjardins & David Widgington
Lux Éditeur, 2013, 190 pages.


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