À force de dérives

«On a enquêté quelques dossiers récemment… un dossier justement où un groupe qui s’appelait le… qui s’appelle le Rabbit Crew, qui justement, ce dossier-là a été étudié et a été déposé justement devant un procureur pour voir si y aurait pas acte criminel. Ça a pas été le cas, mais je mets en garde toute personne qui serait tentée justement d’utiliser Internet ou tout autre moyen qui pourrait être des actes criminels justement… et et et nous, à la Sureté du Québec on ménagera pas nos efforts pour justement retracer ces gens-là qui feraient ça, alors… La Sûreté, là, lance un message très clair à tous ceux qui seraient tentés d’utiliser ce genre de moyens-là.[ref]Jean Finet, porte-parole de la SQ, en entrevue au Vrai Négociateur, 12 avril 2012, http://tvanouvelles.ca/[/ref]»
– Jean Finet, porte-parole de la SQ

«On se rend compte qu’on n’est pas à force égale. Du côté technologique, les gens ont des avancées, ont des cellulaires, ont des outils, d’autres gadgets qui peuvent être dangereux.[ref]Ian Lafrenière, entrevue aux Francs-Tireurs, émission du 6 février 2013 http://video.telequebec.tv/…[/ref]»
– Ian Lafrenière, porte-parole du SPVM

affiche-derives

Affiche du film Dérives.

Et oui, au grand dam des autorités policières, les citoyens utilisent désormais de «dangereuses» avancées technologiques telles que leur connexion internet et leurs téléphones cellulaires afin de se mobiliser et surveiller les agissements des groupes ayant le monopole de la violence au Québec.

Demain, quelques associations étudiantes souligneront le premier anniversaire du déclenchement de la grève et le collectif 99%Média lancera sur le web son documentaire Dérives, un film d’un peu plus d’une heure portant sur les excès et les abus qui ont souvent caractérisé les interventions policières le printemps dernier.

J’ai pu voir Dérives en avant-première il y a quelques jours, lors d’une projection privée destinée aux personnes ayant collaboré au film. En effet, certaines des images que j’ai filmées à Victoriaville ont été utilisées par le collectif. Évidemment, ayant moi-même été plongé dans les événements du printemps érable, j’avais déjà vécu ou vu nombre des scènes reprises à l’écran. Qui plus est, j’ai travaillé et je travaille encore sur divers dossiers qui m’ont amené à revisionner en boucle les images de la grève, à relire les témoignages de brutalité, à questionner le travail policier. Je croyais m’être un peu endurci, désensibilisé, avoir tout vu, tout entendu ou presque.

Pourtant, Dérives m’a rentré dedans. Ce film m’a bouleversé. La trentaine d’heures d’entrevues filmées par le collectif et qui servent à lui tisser une trame narrative y est évidemment pour beaucoup. Avoir vu en vidéo ou vécu sur place la violence de Victoriaville, c’est une chose. Entendre une infirmière témoigner avec émotion des blessures soignées là-bas, c’en est une autre.

Ce n’est pas un documentaire facile à visionner, ni un film parfait du point de vue technique, mais il est absolument nécessaire à voir. Alors que le conflit faisait rage, l’accumulation de scènes de violence et de répression nous a tous un peu désensibilisé, jour après jour, nuit après nuit, reportage après reportage. Revoir tous ces événements en condensé, avec le recul du temps qui a passé, est à la fois douloureux et éclairant.

Ce film réalisé bénévolement et sans aucune subventions sera disponible en ligne intégralement et gratuitement dès mercredi. Chacun et chacune pourrait le visionner tout seul devant son écran, le corps tendu, les nerfs à vif, la sueur au front, les poignants souvenirs du printemps dernier ravivés par chaque coup de matraque. Il s’agit certes d’une possibilité et c’est ainsi que de nombreuses personnes ont vécu les événements de la grève auxquels ils n’avaient pas pris part.

Cependant, je conseille à tous et toutes d’en faire un moment partagé: visionnez-le avec vos colocs, votre famille, vos amis, vos voisins, dans un local étudiant, une salle de projection improvisée, entassés devant un petit ou un grand écran. Comme la grève et la rue sont des expériences collectives, ce film doit en être une aussi. Son écoute peut évidemment se conclure par un long silence, mais celui-ci devrait être suivi d’une vive discussion et d’une grande clameur.

Les dérives policières du printemps dernier sont inacceptables. On ne peut se permettre d’en laisser le souvenir s’estomper graduellement, ni se contenter de considérer chaque abus policier et ses conséquences comme un acte isolé et isolant. Ces gestes constituent un ensemble cohérent, issu d’un climat politique répressif, alimenté par des acteurs médiatiques méprisants et tolérés par une certaine culture policière du silence. Mais à force de dérives, on se heurte inévitablement à un ressac.

Liens

Site où sera diffusé le film: http://www.99media.org/
Page Facebook du collectif: 99media.org
Compte Twitter: 99%Média et mot-clic #Dérives

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