De Trinidad

Et voilà, j’ai dépassé la moitié de mon voyage. Après plus de cinquante jours en Amérique du Sud (ce n’est pas tant que ça, au fond…), je me retrouve à Trinidad, capitale du Béni, deuxième plus grande province de la Bolivie, sirotant une Fanta (orangeade) bien froide et profitant de cette belle soirée hivernale à 25ºC. Trinidad est aux limites de l’Amazonie: dans ce coin de pays, il n’est pas surprenant de croiser un homme avec carabine au dos et couteau à la ceinture. Ou un autre à vélo, avec une machette sur le guidon. En fait, l’ambiance tire plus sur le Far-West que sur les Andes dans cette région de grands élevages bovins. Et même si les charettes ne manquent pas, les cowboys boliviens ont remplacé le cheval par la moto.

Que de motos ! Dans les rues de Trinidad (80 000 habitants), on compte au moins 15 motos ou mobylettes pour une voiture. Et il doit bien en avoir la moitié qui sont des taxis, avec des chauffeurs tous identiques, jeans, t-shirt et casquette, qui vous amènent où vous voulez en ville pour 2.50 bolivianos.

Je parlais de soirées hivernales plus tôt. En fait, je crois que je viens de passer au travers de l’hiver. Pendants trois jours, le ciel était couvert de nuages, il ventait et la nuit, il faisait un peu froid. Exceptionnel. Enfin, pour cette région, parce qu’en ce moment, dans les montagnes, il fait -10 la nuit. Sans aucun système de chauffage. Les nuits sont froides à La Paz…

Justement, j’ai eu droit à un petit moment bien québécois quand j’étais à La Paz. Un soir, j’ai allumé la radio et je suis tombé sur Radio-France International, qui diffusait en direct du Festival d’Été de Québec. Et oui, j’ai eu droit au merveilleux thème d’ouverture du Festival et, qui sait, peut-être vous ai-je entendu crier…

Ça se passait à l’hostal Carretero, ma meilleure maison de passage jusqu’ici. Parce que c’était une vraie auberge de jeunesse, comme on en voudrait dans toutes les villes. Juste le bon degré de saleté, une cuisine avec des vieilles casseroles noires et bosselées, une aire commune où il y a toujours quelqu’un avec qui discuter… juste en une soirée, j’y ai croisé 2 Colombiens, 1 Brésilienne, 1 Autrichienne, 2 Suisses, 1 Irlandaise, 3 Anglais, 1 Néo-Zélandais, 3 Argentins et quelques Boliviens des régions.

Alors que j’étais encore dans la capitale, je me suis rendu compte que mon visa de touriste de 30 jours ne me permettrait pas de réaliser tous mes plans. Je me suis donc levé un bon jour avec comme plan bien précis de changer un chèque de voyage, envoyer un colis à la maison, faire allonger mon visa à l’Immigration, passer au Consulat du Canada et finalement aller au marché… Ah fol optimisme !

Avant tout, un bon déjeûner. Une fois terminé, je me dirige vers la banque (Banco Mercantil, quel nom !), ou je suis redirigé au bureau de change Sudamer, qui me ferme dans la face. C’est vrai, de midi à 2h, il n’y a pas grand chose d’ouvert. Mais bon, pas de problème, je trouve un guichet automatique… qui est «incapable de réaliser la transaction». Le deuxième guichet est hors d’usage, mais quelques rues plus loin, un troisième accepte de me laisser sortir 300 Bolivianos. Génial, je me rends au Correo Central, où une gentille dame m’apprend que les envois internationaux doivent recevoir l’approbation de la douane. Et la douane est fermée jusqu’à 14h45… Bon. Hop à l’Immigration, dans ce cas. «Vous avez besoin de photocopies de votre passeport puis vous devrez vous rendre à l’immeuble en face.» Quelques photocopies plus tard, le portier de l’Immigration II me renvoie à l’Immigration I, où on me renvoie à l’Immigration II, cette fois en me précisant le kiosque 12. À l’Immigration II, le portier tente d’abord de me renvoyer une autre fois en face, pour finalement me laisser entrer. Le kiosque 12 est fermé jusqu’à 2h… Je me décide à laisser passer le temps dans un café tout près, puis, arrivé 2h, je retourne voir mon joyeux portier. Le reste suit dans une merveilleuse enfilade de formalités, de signatures, de files et de formules de politesse, en passant du kiosque 12 au 9 puis au 8, où le préposé m’annonce (surprise) que le délai est de 24 heures et que je dois revenir le lendemain à 16h. Au moins ils ont mon dossier. Retour au Correo Central, passage à la douane: «Non monsieur, avant de passer à la douane vous devez passer au contrôle des narcotiques.» Par chance il ne m’était jamais passé par la tête d’envoyer quelques kilos de cocaine au Canada… Une dame des narcotiques fait la revue complête de mon colis, qui est ensuite révisé par un douanier, pesé par un préposé, payé puis envoyé. Je suis crevé et ma journée se finit là. La maison des fous, ça vous dit quelque chose ?

Le 13 juillet, je suis parti de La Paz vers 8h avec une agence. Un peu plus loin, à La Cumbre (4700m), notre petit groupe de 6 touristes et 2 guides s’est équipé pour une descente en vélo de montagne. (Il semble que je suis chanceux pour les prix: le guide m’a discrètement demandé de ne pas dire aux autres que j’avais payé presque la moitié moins cher qu’eux…). La première partie de la descente n’était pas très compliquée, la route étant asphaltée. De la vitesse, des précipices, quelques camions… Mais une heure plus tard, après une petite montée (qui ne paraissait pas si petite que ça avec l’altitude), et une traversée de travaux routiers, le vrai défi a commencé. Parce que c’est à partir de ce point que commence pour vrai la route reconnue comme étant la plus dangereuse du monde (à cause du nombre impressionnant de véhicules (et de cyclistes…) qui plongent chaque année). Cette route ne tiendrait pas la comparaison avec mon 5e rang… Bien agrippé à mes freins, je suis reparti avec le groupe. Deux heures plus tard, 63 kilomètres plus loin, 3500 mètres plus bas, un embouteillage, beaucoup de poussière, quelques frissons dans le dos et aucun accident, je suis arrivé tout tremblant à Yolosa. Après trois heures crispés sur les freins, les muscles de mes doigts (oui oui, les doigts ont des muscles) ont pris trois jours à s’en remettre. Et mes ampoules commencent à disparaître. Mais bordel que ça en valait la peine !

Quelques jours passés dans les Yungas (la région au Nord de La Paz à mi-chemin entre les Andes et la jungle) puis je suis reparti vers Rurrenabaque, en Amazonie. Première partie du trajet sur le toit d’un minibus puis deuxième partie dans un bus presque confortable. Une quinzaine d’heures avec à ma gauche une maman et sa petite fille, et sur mes genoux leur petit chiot. Sans aucune ironie, c’était un vrai plaisir de pouvoir jouer avec Negra pendant ce long voyage cahoteux. À mon arrivée à Rurre, à 4 heures du matin, je me suis tapé une jasette d’une heure sur le coin d’un trottoir avec Negro Pinto, un ivrogne de la place.

Le plus gros attrait de Rurrenabaque, ce sont les tours dans la selva ou dans la pampa, faits sur mesure pour que le touristes puissent voir des crocodiles, couper quelques lianes à la machette et se sentir aventuriers pour de vrai. J’exagère peut-être le côté gringo, mais c’est l’impression que j’ai eu. Je me suis sauvé de là, reparti avec vers Trinidad. Ce fût une de mes meilleures décisions jusqu’ici, pour les géniales aventures que j’ai vécues ces derniers jours.

Une heure après être partis de Rurre, le minibus rempli à ras bord nous a lâché, un essieu tordu ou quelque chose du genre… Le chauffeur a tenté une réparationde fortune qui a lâché aussi une centaine de mètres plus loin. Une autre heure plus tard, je suis donc embarqué sur le dessus d’une van remplie de bois avec quelques autres passagers. Un voyage d’enfer, dans la poussière (je vous ai parlé de la comparaison entre ces routes et mon rang ?), le vent (l’hiver commencait), le froid et la faim (m’étant levé à la dernière minute, j’avais manqué le déjeûner). Cinq heures plus tard (pour 70 km), arrivée à Yucumo, où je suis embarqué dans un minibus pour San Borja avec mes compagnons d’infortune. C’était une van du style «Econoline» à 12 sièges. Nous étions 30. Et de ces 30, personne sur le toit, je vous le dis…

Finalement, un autre deux heures trentre de plus et je suis arrivé à San Borja. Mariela, une fille du coin qui venait de passer au travers de la même journée que moi, m’a gentiment offert l’hébergement dans la maison de sa tante, ce que je n’ai même pas pensé refusé. Ce fût une merveilleuse petite pause de 24 heures avec une vraie famille locale, loin du circuit touristique habituel (qui ne passe même pas dans cette ville de toutes façons). J’ai dormi sous moustiquaire pour la première fois et j’ai mangé une soupe banane et boeuf dans cette petite cabane trois pièces, avec le coq, les poules, les chiens, le cochonnet et le perroquet dans les jambes, avec Mariela, ses trois tantes, son oncle, son frère et ses cousins. J’ai goûté à l’hospitalité bolivienne, l’authentique.

Le lendemain, j’ai attendu deux heures au poste de péage pour enfin me trouver une camionette qui allait vers Trinidad (jusqu’à San Ignacio, en fait). Roulé en boule dans la boîte, j’ai même dormi un peu. Une nuit à San Ignacio, un camion, quelques traversées de rivières et de fleuves en bac et me voilà à Trinidad.

D’ici, je veux partir vers Guayaramerin, à la frontière avec le Brésil. Six jours en bateau, sur le fleuve Mamoré, en pleine Amazonie. Je me suis arrangé hier avec le capitaine d’un vieux rafiot, qui devrait partir samedi.

Ah et puis l’OQAJ a même ouvert une page internet juste pour moi, quand même…

http://www.oqaj.gouv.qc.ca/francais/n020705.html


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